On n'a pas tous les jours 50 ans...
Non, je n'ai pas rajeuni : j'ai fêté mes 50 ans il y a quatre ans. Dimanche dernier, c'était mon ami Olivier C qui rejoignait le club des quinquas. Le seul cadeau qu'il nous avait demandé, c'était de participer à la préparation du repas. Tout le monde a joué le jeu de bon coeur. Patrick a préparé comme d'hab' les gougères sans lesquelles un repas d'la bande n'en serait pas vraiment un. Etait-ce l'ambiance particulièrement festive ou un savoir-faire en amélioration permanente ? Ou les deux ? Toujours est-il que je ne les aie jamais trouvées aussi bonnes !
Pour les accompagner, une "bulle" à la robe dorée, au nez dominé par les fruits blancs bien mûrs, soulignées par la craie humide. La bouche ronde est très fraîche, nette, avec des bulles très fines, semblant domptées par le temps. On retrouve la craie en finale, tenant compagnie à la pomme et au citron confit. On sent le vin un peu entre deux âges : il n'a pas la complexité d'un vieux champagne, mais il n'a pas non plus la vigueur impétueuse de la jeunesse. C'est un Champagne Ultradition Brut de Laherte (dégorgé en 2018, ce qui explique la finesse des bulles et le dosage à peine perceptible).
Puis arrive une première entrée préparée par Stéphane : une crème de chou-fleur, des "perles aux agrumes", des noisettes grillées, et des langoustines snackées à la chair encore nacrée. L'innovation, ce sont les perles, car pour le reste, on est sur un grand classique de la maison L. Mais comme tout bon classique bien exécuté, on ne s'en lasse pas !
Le vin qui l'accompagne (fourni par Olivier) a une robe bien dorée. Le nez évoque le coing et l'agrume confit, laissant peu de doute sur le cépage. La bouche joue plutôt la rondeur ample au départ même si elle ne manque pas de tension. Puis une acidité surgit, semblant provenir de nulle part, et monte crescendo jusqu'à prendre toute la place en finale, et plus encore en post-finale : elle ne vous lâche plus pendant une minute, accompagnée d'un citron intense et vibrant. Vraiment très impressionnant. C'est ce qu'on peut appeler un "vin de finale". C'est un Vouvray sec 2012 de Foreau.
La deuxième entrée est amenée par Olivier R : de la chair de tourteau et une sauce aux fruits de la passion, agrumes et thym.
Elle est accompagnée d'un vin à la robe très claire et à une aromatique gourmande – ananas, citron vert, citronnelle, gingembre – qui vous emmène directement sur un riesling allemand. La bouche est droite, pure, avec une matière mûre qui réussit à rester cristalline. Il y a certainement beaucoup plus de sucres que ce que l'on peut imaginer (on en ressent 15-20 g/l alors qu'il doit y en avoir 50). Je partirais sur un Kabinett. Vu que c'est moi qui ai fourni Olivier en vins mosellans, il n'y a que trois producteurs possibles : Dr Loosen, Karl Erbes ou Van Volxem. Là, je dirais plutôt Loosen sans être sûr à 100 %. Après, le cru exact, pfff.... Bon, alors c'est bien Dr Loosen, et c'est un Riesling Kabinett Bernkasteler Lay 2017.
J'ai cuisiné le plat principal : ce sont des demi-cailles (contisées au ris d'agneau) cuisinées en basse-température puis snackées à la poêle. Le snackage s'est avéré un peu compliqué car la poêle accrochait. Quand j'ai fait le test à la maison, ça ressemblait à ça :
La garniture est composée de flageolets issus de mon jardin, d'haricots coco du commerce et de fèves du jardin du père d'Olivier, ainsi que de lard fumé grillé et du reste de ris d'agneau non contisé.
Pour l'occasion, j'ai amené une bouteille de Corton 1959 de Louis Max que j'avais depuis un certain temps en cave. Elle faisait partie d'un lot acheté aux enchères. Le niveau était "vidange", comme on dit (très très bas, quoi). Mais comme un Corton-Charlemagne 1959 du même lot, avec un niveau identique, s'était avéré excellent, il y avait de l'espoir. À l'ouverture vers 9h30, le vin faisait un peu fatigué, mais il était loin d'être mort. J'ai donc amené la bouteille chez Olivier, avec une autre en plan B.
Pendant que je m'occupais de la cuisson et du service des cailles, Olivier a servi à l'aveugle un premier vin, à la robe trouble. Comme il faisait jeune au nez et en bouche, j'ai réussi à me persuader que c'était le plan B (même si j'étais étonné de sa turbidité). Le nez était superbe, sur la cerise, la framboise, des notes florales façon pot-pourri, et juste un peu de tertaire (sous-bois, mousseron). La bouche était très fraîche, fruitée, avec une tension portée par une fine acidité, et une matière étonnamment pulpeuse (la "récompense" d'avoir un vin trouble). La finale était également portée par l'acidité, avec une cerise gourmande, vibrante, entourée d'un halo plus tertiaire. Superbe !
C'est lorsqu'Olivier m'a servi le deuxième vin, parfaitement clair, que j'ai percuté que je venais de boire le Corton ! Sa renaissance était tellement incroyable que je n'avais pas voulu y croire.
Le plan B, c'est donc un Pernand-Vergelesses 1er cru Iles des Vergelesses 1999 de Chandon de Briailles. Eh bien, on peut dire qu'il a eu un peu de mal à passer derrière ma vieillerie. Certes, la robe est nettement plus attractive, mais sinon, l'aromatique était moins causante, moins fruitée et plus tertiaire. La bouche était fine et élégante, racée, mais en comparaison, manquait de chair et de gourmandise. Itou pour la finale, où le fruit était peu présent. Bref, Corton l'a tuer (alors que dégusté avec Olivier à 10 h30, il était super et nettement supérieur au Corton).
En "fromage" Patrick a préparé une terrine de foie gras au comté et noix grillées (une recette de David Zuddas, expliquée ICI par Anne). Je craignais que ce soit un peu lourd à ce stade du repas. Mais en fait, ça se mange très facilement, et sans se forcer (je n'ai tout de même pas réclamé de rab).
Qui dit comté et noix grillé, dit vit vin jaune. Olivier n'a même pas planqué l'étiquette, car on se doute bien qu'il ne nous sert pas un Chablis ou un Sancerre ;-) C'est donc un Château Chalon 2008 de Philippe Butin. Ça tombe bien avec le plat : l'aromatique est très "noix grillée", avec une pointe de curry et de croûte de comté. La bouche est vive, tendue par une acidité hyper traçante qui ne vous lâche plus, tel le sparadrap du capitaine Haddock. On en oublierait presque une matière mûre et concentrée, d'une grande puissance aromatique. Bref, un vin très expressif au caractère marqué réservé aux palais des amateurs de jaune. Je le trouve un peu trop puissant pour cette terrine qui aurait réclamé un vin plus en nuances.
Nous finissons le repas avec une tarte au fenouil et agrumes préparée par Sandrine. Elle peut paraître simple au premier abord, mais elle offre une belle complexité aromatique.
Sandrine avait hésité à nous servir ce Loupiac 1967 du Château de Ricaud car elle pensait qu'il avait des défauts. En fait, pas du tout : il est juste patiné par le temps comme peut l'être un vin de 54 ans : une robe cuivrée tirant vers l'ambré. Un très beau nez sur l'orangette, l'encaustique et la truffe. Une bouche riche, intense, fraîche, superbement équilibrée, ne fatiguant pas du tout le palais. Et une finale sur le toffee, l'écorce d'orange et le rancio qui persiste longuement. Non, il est très bon, ton vin, Sandrine !
Olivier R. nous sert un dernier vin à l'aveugle. La robe cuivrée est proche de celle du vin précedént. Le nez est plus frais, évoquant un caramel aux agrumes sur lequel on aurait rapé un peu de citron noir iranien. Il y a aussi un côté thé Oolong, avec ses douces notes de châtaigne. En bouche, vous êtes happé de suite par une sublime acidité qui persiste au delà de la finale ( une bonne minute). La matière est un peu moins riche que le Ricaud, mais plus fraîche, plus gourmande, mêlant les notes tertiaires / caramélisées à l'écorce de cédrat confite. La finale réussit à être à la fois puissante et délicate, fraîche et voluptueuse, avec cette divine acidité qui tient lieu de colonne vertébrale et un feu d'artifice de saveurs. Magnifique vin ! C'est un Vouvray Clos du Bourg moelleux 1971 signé Gaston Huet.
Bravo à tous, et vivement l'année prochaine pour les 50 ans de Stéphane !