Manifeste pour un vin inclusif : à lire !
J'ai pu lire en avant-première le manifeste pour un vin inclusif de Sandrine Goeyvaerts. A moins que vous ne soyez totalement allergique à l'écriture inclusive, c'est très facile à lire et demandera moins de deux heures de votre temps. Si le livre n'est pas épais (90 pages), le contenu est dense, foisonnant, et riche en témoignages.
Cela fait quelques années que Sandrine et ses ami(e)s nous alertent sur la discrimination des femmes dans le monde du vin (alors que leur présence y est de plus en plus importante). A la lecture du livre, on peut y rajouter les gays, les "racisés" et les handicapés – bienvenue dans le monde du validisme. Sandrine a reçu des témoignagnes qu'elle nous partage dans le livre, ce qui nous permet de comprendre les diverses situations, et en quoi elles posent problème. Cela permet de réfléchir à nos propres comportements, du choix de notre vocabulaire qui peuvent être involontairement blessant ou excluant.
Pour toute cette partie témoignage et état des lieux (80 % du contenu) ce livre est vraiment à lire, car lorsqu'on est un (presque) vieux mâle blanc comme moi, on a assez peu conscience de toutes ces situations du fait qu'on est trop souvent dans l'entre-soi : le forum d'amateurs que je fréquente est composé à 99 % d'hommes (dont sûrement 99 % de blancs, voire plus). Les cercles de dégustation qui y sont liés, aussi. Alors, tous vous diront qu'ils seraient ravis qu'il y ait plus de femmes qui y participent. Mais en ont-elles vraiment envie ? Ne sont-elles pas découragées à l'avance lorsqu'elles lisent certain de nos échanges ?
Par contre, pour la partie "solutions", j'ai été un peu plus frustré. Je m'attendais à être plus "pris en main" pour participer à une plus grande inclusivité du monde du vin. Il y a bien quelques pistes de proposées, mais rien de très concret. Alors oui, je veux bien remplacer "fruits exotiques" par "fruits tropicaux", histoire de ne pas exclure ceux pour qui un ananas n'a rien d'exotique. Si ce n'est que dans la vie de tous les jours, je ne croise pas grand monde qui soit concerné par le problème. Pour le reste, je n'ai jamais employé le mot cuisse qui est totalement ringard (et pourquoi la cuisse serait-elle celle d'une femme, d'ailleurs ?) et j'ai bien conscience que parler de vin "féminin" n'a aucun sens et ne devrait plus être employé. Je vais essayer de ne plus utiliser le terme "putassier" et le remplacer par "racoleur" ou "vulgaire".
Tout en ayant conscience que c'est un réflexe de vieux mâle blanc éduqué et conservateur, je suis contre le principe de simplifier le vocabulaire que j'utilise à l'heure actuelle, histoire d'être compréhensible par 100 % de la population. J'aurais l'impression de participer à l'abêtissement de la société qui est déjà à l'oeuvre depuis quelques décennies. Lorsque j'évoque le poivre cubèbe, j'ai bien conscience qu'une partie de mes lecteurs n'en a jamais goûté. Mais comme je l'associe à une grande fraîcheur, j'espère les intriguer et qu'à l'occasion, il goûteront ce poivre unique en son genre, si différent du poivre "classique". Si j'utilise le terme petrichor qui me plait beaucoup, je prend toujours soin de mettre un lien hypertexte pour que mes lecteurs sachent de quoi je parle.
En parlant de vocabulaire, je n'ai d'ailleurs pas l'impression que Sandrine révolutionne le sujet avec son lexique final : il n'a pas grand chose d'inclusif (peut-il l'être ?) et ressemble à tout lexique déjà paru sur le sujet – et particulièrement à ceux que l'autrice avait mis à la fin de ses précédents livres. Quelle que soit la cause que vous voulez défendre, vous vous retrouverez à un moment donné face à un mur de verre (à vin) : il y a un minimum de vocabulaire et de connaissances à acquérir lorsque l'on s'intéresse au monde du vin (et j'imagine que c'est pareil pour la poterie, la cuisine, l'automobile...). Si vous ne voulez pas faire cet effort, il vaut mieux passer à autre chose.
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Manifeste pour un vin inclusif, édtions Nouriturfu
90 pages, 10 €