Grand moment à La Grenouillère
Cela fait plusieurs années que je voulais découvrir la cuisine d'Alexandre Gautier à la Grenouillère. mais le restaurant était complet lorsque je voulais y aller. Cette fois, je me suis fait inscrire sur une liste d'attente, sans trop y croire, pour y aller le samedi 21 août à midi, le seul moment disponible de mes vacances. La veille à 14 h, alors que j'étais encore en Belgique et n'y pensais même plus, je reçois un coup de fil de la Grenouillère pour me demander si j'étais toujours intéressé de venir. Oui, oui ! Ai-je répondu. Et me voilà donc dans cette fameuse salle que je n'avais vue qu'à la télévision – après avoir subli les bouchons formés par les touristes allant au Touquet. Pour l'instant (12h30), je suis seul. Mais très rapidement, elle va se remplir jusqu'à ce qu'il n'y ait plus une table de libre.
Comme à l'Astrance, la première chose qui vous est servie est un oshimuri, une serviette chaude et humide qui vous nettoie aussi biens les mains que l'esprit. Vous vous sentez tout de suite plus prêt à entamer un repas de longue haleine :
Conduisant ensuite, je ne choisis pas la formule "vins d'accompagnement". Je me contenterai de deux verres. Le premier est Chardonnay Sursis 2017 de Stéphane Tissot. La robe est jaune paille. Le nez est intense, sur le pétard l'amande grillée et la tourbe. La bouche est d'abord ample et aérienne, avec une matière douce et moelleuse, puis une acidité traçante surgissant de nulle part monte crescendo, devenant rapidement l'élément central. Puis passe carrément au transperçant sublime. La finale est explosive, intense, d'une ampleur monstrueuse. Magnifique vin !
Là, c'est l'eau pétillante maison. Elle est pas mal du tout !
J'ai choisi le menu à 155 € et pris le supplément "homard genièvre" à 52 €. J'en avais lu beaucoup de bien. S'il y avait une occasion de le goûter, c'est maintenant ! Voici une première série de mises en bouche. Devant, une pelote vinaigrée à base de pomme de terre, derrière Oignons capsules, framboise, (des pickles d'oignon grelot au vinaigre de framboise) et des guimauves relevées d'un condiment corsé (entrailles de poisson ?) et de feuilles de capucine (?). Ces dernières sont une grande réussite, avec ce contraste entre douceur moelleuse et puissance aromatique.
De plus près...
Je n'ai pas pu photographier une tige à l'oxalys, une tomate cerise et une boule de mimolette que le serveur vous servait directement sans les poser sur la table.
Une faisselle aux lentilles d'eau (aussi bon que beau !)
Le très bon pain (je n'en ai pas mangé la moitié) et le beurre local.
Le repas démarre vraiment avec ce Dorade, Mirabelle. Comme pas mal de plats dégustés ici, je n'aurais pas osé mélanger ce fruit avec un poisson (cru, en plus). En fait, la mirabelle n'est pas si sucré que celà. Je ne serais pas surpris qu'elle ait été légèrement "picklisée" pour qu'elle ne jure pas dans le plat.
Lorsqu'on déconstruit l'assiette, on découvre également une amande crue qui apporte un peu de croquant à un ensemble plutôt tendre.
Puis arrive une langoustine, peau végétale acidulée. La peau végétale, c'est de la courgette jaune, coupée très finement. Elle sert également de base à la sauce en étant centrifugée. Sinon, la langoustine est crue pour en apprécier toute la texture, et le citron est bien présent, sans être trop écraser le reste. Un plat d'équilibriste, très bien dosé, avec un joli jeu de textures.
Suit un blini de lait entier, tourteau. Le blini est (je suppose) de la peau de lait, moelleuse et dorée, au goût bien lacté, mais aussi finement caramélisé grâce à la réaction de Maillard. À l'intérieur, une chair de tourteau en quantité généreuse, servie entre tiède et chaude, ce qui n'est pas trop courant – je crois l'avoir toujours mangée froide jusqu'à maintenant. Et puis bien sûr, de la mousse de lait ! Un plat gourmand et régressif.
Une assiette très esthétique sobrement intitulée Cornichon... Alors que le vinaigre était mis en avant dans les mises en bouche, il n'a ici pas sa place. On goûte le cornichon à l'état pur, sans artifice, en plusieurs textures. On perçoit en quoi il diffère du concombre. Il est plus fruité et acidulé.
Le serveur a beau mettre en garde : j'ai failli verser une partie du contenu de ce coussin au stilton sur ma chemise. Car il est de taille conséquente, et il faut ouvrir grand la bouche pour le manger en une fois. A l'intérieur, donc, une émulsion chaude subtilement parfumé au célèbre fromage britannique. Je serais curieux de savoir comment la "coque" est faite...
Arrive le rouget-barbet en plusieurs services (mais tout arrive en même temps) : sa chair, avec des fraises des bois. De ce qui m'a été expliqué, c'était au départ une association chromatique, mais en fait, le côté acidulé de la fraise fonctionne bien. Et elle n'est pas si sucrée que cela. La cuisson du poisson est magnifique, montrant qu'au-delà du côté joueur du maître de maisoin, c'est un grand cuisinier.
Le foie sur brioche, le fossile de peau...
et l'infusion des têtes à boire avant, pendant et après. Et c'est vrai que le goût se modifie (enfin sa perception) au fil de la dégustation. La coupelle sert à la boire, mais il y en a toute une réserve dans le pichet que l'on aperçoit sur la photo précédente.
Entre temps, j'ai re-demandé un peu de Sursis de Tissot, car le verre était vide au moment d'arriver au rouget, et je n'en avais plus pour le homard. C'eût été dommage...
Le voilà, le fameux homard fumé dans son buisson de genièvre. Lorsqu'il arrive sur la table, il est entièrement recouvert. Il n'y a pas de couverts pour le manger. Juste un rince-doigts pour nettoyer la main droite qui va s'emparer du crustacé. On sent vraiment ici la volonté d'Alexandre Gautier de casser les codes. Le plus bizarre, ce n'est pas d'empoigner la bête, mais plutôt de mordre dedans pour déchiqueter la chair juteuse. On a l'impression de revenir aux âges anciens, à une époque où il n'y avait ni couvert, ni Nadine de Rotshchild.
Mais parlons plutôt de la bête : je ne suis pas plus surpris que cela par sa superbe texture moelleuse / juteuse car je suppose que le chef le cuit à une température aussi basse que moi (inférieure à 50 °C) mais c'est sûr qu'elle doit surprendre ceux qui l'ont toujours mangé plus ferme. Le fumé du genièvre est délicat. Peut-être même un peu trop ? Je l'eusse volontiers préféré un peu plus plus boucané, sauvage. Sans excès, non plus. C'est pas du hareng...
L'accord avec le Sursis est, comme je m'y attendais, magnifique !
PS : je me demande ce qu'il fait du reste du homard, car il ne réapparait pas dans la suit du menu. Il mériterait d'être servi au client sous la forme de petites assiettes /coupelles supplémentaires. Vu le supplément payé, ça me semblerait justifié.
Bon, je râle, mais voilà une raviole qui n'apparaît pas dans le menu. Un supplément offert par le chef. Sur celle-ci, un lamelle de betterave jaune. À l'intérieur, un jaune d'oeuf (dont la texture évoque une cuisson à 63-64 °C) et un peu de haddock qui apporte une fine touche fumée. Bref, on est là aussi sur un "accord chromatique" qui fonctionne bien !
Arrive le plat qui m'a le plus marqué, alors que jusqu'à maintenant, la caille ne m'avait jamais épaté. Elle est d'abord cuite à basse-température avant d'être snackée intensément. Ce qui donne une chair rosée et délicate à l"intérieur, croustillante et dorée à l'extérieur. Le truc que l'on m'a soufflé, c'est qu'il y a des fines tranches de ris de veau qui sont insérées dans la chair de la caille. Je comprends mieux les saveurs que je percevais, inhabituelles pour cet oiseau.
Elle est servie avec des haricots beurres cuits al dente et une émulsion à la verveine...
... mais aussi des gnocchi de petits pois et des petits pois.
On les voit mieux comme ça.
Et lorsqu'il n'y en a plus, il y en a encore, avec un jus gras savoureux !
Pour le saucer, une brioche aux herbes.
J'ai bu avec la caille un demi-verre de Faugères 2017 de Léon Barral : son nez délicat évoque la framboise, la violette, l'encens et la fumée. Sa bouche est fine, élégante, très douce, enveloppante, avec une belle tension. La finale est ample, intense, avec beaucoup de fruit et de fraîcheur et se prolonge sur les épices et l'encens. Très bel accord !
La transition avec le sucré se fait avec un rayon de miel arrosé d'un trait de jus de citron.
On le mâche jusqu'à n'avoir plus qu'une petite boulette de cire. Ça m'a rappelé mon enfance : ma mère me donnait un morceau de rayon de miel citronné lorsque j'étais malade (grippe, toux...). Là, je suis en pleine forme. Ça ne m'empêche pas d'apprécier.
Puis arrive la "farandole de desserts", si j'ose m'exprimer ainsi.
des rouleaux de rhubarbe au sucre de bouleau (xylitol, très rafraîchissant). Excellents !
Un maca'long à la framboise (dont le goût me rappelle une Paille d'or de LU) et des fraises à l'état brut.
Au départ, je croyais qu'il n'y avait qu'un jus de fraise dans ce bol (cf photo de l'ensemble). Il y a en fait ce que l'on pourrait appeler une crème renversée, et en dessous un coulis de fraise très goûteux.
Puis une "mantille" de chocolat vénézuélien posée sur une crème d'amande, et ici et là, des tous petits dés de vinaigre cristal gélifié qui apporte du peps.
Là aussi, il y en plus qu'au premier regard. Il y a une crème épaisse de fruits rouges et noirs cachée sous les myrtilles et les framboises (il y en avait une autre que j'ai mangée avant de prendre la photo).
Cueillette pour mon infusion mélisse / menthe.
Délicieux (dire que j'ai les deux plantes dans le jardin et que je ne pense jamais à en faire).
Le plus important dont je n'ai pas parlé, c'est l'ambiance. Le personnel est d'une grande gentillesse tout en étant très efficace et organisé. Les clients sont détendus : on se croit plus dans une paillotte au bord de la mer que dans un 2*. Le chef est disponible et à l'écoute des clients. Alors que j'étais seul et sans réseau internet, je n'ai pas vu le temps passer. Lorsqu'il y avait un petit temps mort, mon serveur attitré venait discuter avec moi). Et dès qu'il me quittait, un plat arrivait. Magique ! Il m'a été remis un petit carnet très bien fait, racontant le restaurant, la région, avec une carte du secteur, les pensées du chef et de très chouettes citations, comme celle-ci qui fera office de conclusion :
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19, rue de la Grenouillère 62170 La Madelaine-sous-Montreuil
Tél : 03 21 06 07 22