Pérégrinations, le retour
Cela faisait un petit bout de temps que ma bande de Limoges voulait refaire un beau repas avec de beaux vins, avec les pieds sous la table. Aussi ai-je recontacté l'ami Franck de Pérégrinations (Buzançais, Indre) pour savoir s'il pouvait nous faire un repas sur mesure. Il a accepté de suite. Après avoir recensé les vins que chacun était prêt à apporter, j'ai donné des indications au chef qui nous a concocté un menu personnalisé.
Ici, le pain est servi sans beurre. Ca évite d'en manger trois fois trop, et de ne plus avoir faim pour le vrai repas.
On démarre avec les mises en bouche : d'abord une tartelette aux champignons surmonté d'une lamelle de truffe de Bourgogne. C'est un hymne à l'ami chapeauté. On pourrait en manger 10 de plus !
On poursuit avec une galette de pomme de terre (entrée culte du Berry) sous forme d'arlette. On a bien le goût de la pomme de terre, mais aussi du beurre tirant sur la noisette. Miam !
Et l'on finit avec une tartelette pomme / betterave et une pâte au curcuma. Ca peut paraître bizarre sur le papier, mais en fait, c'est très harmonieux. C'est étonnamment le curcuma qui domine, avec des notes de curry dont il est un composant principal.
Le Champagne cuvée n° 735 de Jacquesson (base 2007, dégorgement 2011) est prévu pour la première entrée, mais nous avons commencé à le boire pour avec les mises en bouche : la robe est d'un or intense. Le nez évoque les fruits secs grillés, le pralin, le citron, les embruns marins et la viennoiserie à 7 h le matin. La bouche est très ample, d'une fraicheur intense, offrant une matière dense, crayeuse, étirée par une acidité tranchante, et une aromatique citronnée. Les bulles sont bien là, mais d'une grande discrétion (ce qui ne me dérange pas). La finale tonique et concentrée, avec un beau triple A : une Acidité vibrante, une Astringence crayeuse à souhait et plus encore une Amertume impressionnante sur le citron confit et la gentiane (en subtil, hein), et une persistance sur des notes salines. Un très bon champagne à maturité qui doit pouvoir encore tenir sans problème une dizaine d'années.
Dans cette coquille, nous trouvons de la semoule de chou fleur/brocoli, une vinaigrette de citron vert/ huile de noix, un tartare d'huître et un sorbet pamplemousse
Et c'est accompagné d'une écume d'huître et d'une quenelle de mousse de chou-fleur.
La semoule est une petite merveille d'équilibre, et s'accorde aussi bien avec la chair de l'huître que le champagne. Je pourrais dire pareil pour le sorbet pamplemousse. Bref, cette première entrée est une réussite !
Nous poursuivons avec des coquilles Saint Jacques en vapeur douce / caviar osciêtre de Sologne / beurre d'herbes du jardin (sauge-pélargonium monarde- capucine-livéche) aux barbes. La texture des Saint-Jacques est magique, à la fois ferme et soyeuse. Le caviar est d'une grande délicatesse, finement noiseté. Et le beurre d'herbes est aussi intense aromatiquement que complexe. Alors imaginez quand on a les trois ensemble dans la bouche : on n'en croit pas ses papilles !
Pour accompagner ce plat, un Sancerre Clos de Beaujeu 2008 de Gérard Boulay (pas de photo, car bouteille sans étiquette) : sa robe est dorée. Le nez est expressif, sur la coquille d'huître, le pomelo, le bourgeon de cassis et la pomme fraîche. La bouche est ample et élégante, racée, déployant une matière douce, soyeuse, à l'aromatique intense sur le cassis et le citron légère, avant que n'arrive une subtile astringence. La finale est complexe, d'une grande intensité, mêlant les notes crayeuses au citron confit, et persiste sur la rhubarbe, la rose et le cassis.
Un superbe Sancerre qui ne fait pas ses 16 ans, et devrait pouvoir tenir longtemps encore.
Arrive un homard bleu, beurre blanc au gingembre, carotte glacée orange/safran. Là aussi, la cuisson du crustacé est magnifique. Au vu de mes expériences sur le sujet, on doit être à peu près à 50 °C, ce qui donne une chair délicate – tout en ne manquant pas de densité – à l'opposé de 95 % des homards servis en restaurant. Le beurre blanc (pas encore servir sur la photo) est une petite merveille qui permet un accord divin avec le riesling qui accompagne le plat.
C'est en effet un Alsace Riesling Windsbuhl 2001 de Zind-Humbrecht qui nous est servi. Lorsque je l'ai ouvert la veille au soir, je n'étais pas plus confiant que ça du fait de l'âge du vin. Le bouchon qui est parti en miette m'a encore moins rassuré. Mais dès que j'en ai bu une mini-gorgée, mon moral est remonté à vitesse grand V ! Sa robe est d'un or intense aux reflets cuivrés. Le nez est exubérant, sur fruits confits, le pétrole, le miel de sarrasin, la pêche séchée, l'orangette et le safran. La bouche est d'une fraîcheur décoiffante, offrant une matière onctueuse, étonnamment grasse, avec une aromatique confite contrebalancée par une fine acidité. La final est intense, magnifique, avec des amers à tomber sur l'orangette et le gingembre, et une acidité aiguisée qui pénètre au plus profond de votre âme. Grand vin.
Avant de passer directement au lièvre à la royale, j'avais demandé à Franck s'il pouvait nous servir un morceau de rable rosé. Non seulement il a accepté, mais il a fait mieux que ça : il l'a accompagné de cèpes et d'une généreuse quenelle de lièvre à la royale façon Aristide Couteaux. Le contraste en la chair à peine cuite et lièvre très longuement confit / compoté est superbe.
Deux vins rouges pour accompagner ce premier service.
D'abord un vin de pays catalan 1985 de Fernand Vaquer (80 % carignan, 20 % grenache noir). Sa robe grenat clair légèrement tuilée. Le nez fait penser à un Médoc à maturité, avec ses notes de cassis, de menthol, de tabac, de cuir et d'épices. La bouche est fine, intense, élégante, avec une belle fraicheur et un joli fruit patiné souligné par l'écorce d'orange. La finale prolonge la bouche sans la moindre dureté, sur les épices, l'orange et le tabac. Excellent.
Puis un Fixin 2011 du Domaine des Tilleuls. Sa robe grenat sombre légèrement évoluée. Le nez est fin, sur la cerise mûre, la résine et la fumée. La bouche ronde, ample, veloutée, avec une matière charnue / pulpeuse, au fruit bien mûr tonifié par une acidité perçante. On retrouve celle ci en colonne vertébrale en finale sur le coulis de cerise et le cacao. C'est très bon. J'ai le sentiment qu'aujourd'hui il ne serait plus possible d'avoir une telle maturité couplée avec une grande acidité. Et c'est bien dommage.
Et voici le lièvre à la royale façon Marie Antoine Carême
fine purée d'héliantis et truffes fraîches
Pas grand chose à dire sur ce plat si ce n'est qu'il confirme que c'est l'un des plus grands de la cuisine française (et donc mondiale, hein). C''est d'une intensité folle, sauvage, et en même temps, tendre et doux.
Là aussi deux vins, car l'ami Daniel avait hésité entre les deux millésimes. Avant de refuser de choisir en amenant la paire.
D'abord un Hermitage 2007 de Bernard Faurie : sa robe est grenat sombre aux reflets violacés. Le nez est d'une fascinante austérité, sur la fourrure, la résine et le poivre. La bouche est ronde, ample, enrobante, avec une matière dense, profonde, sensuelle, d'une grande fraîcheur aromatique sur les fruits noirs et le menthol. La finale est plus dense, très fruitée, avec toujours cette fraîcheur mentholée. Très (très) bon.
Puis un Hermitage 2003 de Bernard Faurie : sa robe est très proche du précédent. Le nez est plus expressif, sur la violette, le coulis de mûre et le poivre blanc. La bouche est plus fine, plus élégante, plus gourmande, avec un charnu irrésistible et une fraîcheur classieuse. La finale est superbe, sur l'orange et les fruits noirs confits, prolongé par les épices (et toujours l'orange). Magnifique vin.
Evidemment, excellent accord avec le plat !
En pré-dessert, un sorbet à l'arone (à gauche) et à l'hélichryse (à droite). C'est frais, fin, complexe, et remet les papilles en place.
Ca ne se voit pas, mais sous cette coque de chocolat blanc, il y a plein de choses : pommes caramélisées façon Tatin, fine compote de coings, sorbet pomme verte, huile de feuilles de céleri
elle est arrosée avec de l'alcool de poire chauffé et enflammé ce qui lui fait tirer la tronche..
Le dessert est accompagné d'un Vouvray moelleux 1990 du Domaine Freslier. Sa robe est d'un or intense. Le nez est puissant, sur le coing confit, l'orangette et le safran. La bouche est élancée, intense, avec une matière moelleuse / charnue sur la pomme rôtie, le coing, et une belle acidité en contrepoint. La finale est intense, tonique, avec toujours cette belle acidité, sur l'orange confite, la gelée coing et le safran. Très bon.
Autant dire que l'accord avec le dessert est réussi !
Mignardises finales : tartelettes au chocolat et au citron, madeleine.
Encore un très beau repas à Pérégrinations, avec un service au top, un chef adorable avec qui nous avons longuement discuté. Une seule chose est sûre : nous reviendrons !