Cueillette : un futur grand !
C'est encore l'ami Stéphane qui nous a invité à nous intéresser à Cueillette, un restaurant ouvert l'année dernière au sud de la Corrèze. À l'instar de Larrivet-Haut-Brion, ce château a été racheté par le groupe Andros qui y a installé un centre de recherche et de formation. Ils ont dû se dire que le (beau) lieu se prêtait bien à un restaurant gastronomique et à un hôtel. Ils ont donc proposé à Oscar Garcia et à sa compagne Julie Pons de les rejoindre. Ce jeune chef formé par Franck Putelat avait déjà obtenu une étoile à la Table d'Uzès en 2014 (à 24 ans !) avant de revenir à sa Toulouse natale où il mettait en avant les produits locaux.
C'est ce ce concept locavore qui a été également adopté à Altillac : les fruits et légumes proviennent en grande partie du jardin expérimental du domaine, complété par les producteurs locaux. C'est tout aussi vrai pour les poissons, les viandes, mais aussi la vaisselle et les couteaux. D'où ce bien nommé Cueillette : les convives y découvrent des produits fraîchement cueillis qui n'ont pas transité d'un bout de la France à l'autre.
Dès que vous rentrez dans la salle, vous ne pouvez qu'être impressionné par la simple majestuosité du lieu. C'est absolument superbe, et en même temps, pas du tout guindé. Le personnel, tout habillé de blanc (sommelier inclus) se fond totalement dans ce décor irréel. On sent tout de même l'ambition du lieu : le cadre est digne des restaurants les plus étoilés de France. Il n'y aura pas besoin de refaire la décoration lorsqu'il montera en grade, ce qui ne saurait tarder.
La verrerie de Lehmann est toute aussi irréprochable.
Couteau corrézien
Les mises en bouche arrivent
Tartelettes à la saucisse de volaille et sarrasin : dès la première bouchée, vous êtes emportés et vous vous dites que vous allez vivre un moment exceptionnel. Cette saucisse est d'une intensité gustative incroyable, et la délicate croustillance de la tartelette la met encore plus en valeur. J'ai fait la réflexion à Stéphane que c'était cet uppercut qui manquait dans les mises en bouche de la Maison Médard où nous sommes allés récemment.
"sponge cake" à la châtaigne. Ca fait toujours son effet visuellement, mais c'est un peu fade après la tartelette;
J'ai pris la photo avant que l'on nous verse une bouillabaisse corrézienne à base de poissons elevés localement et de safran culitivé à quelques kilomètres. Eh bien, ça ressemblait bien à de la bouillabaisse, en un peu moins corsé tout de même.
Le beurre a été agrémenté de fleurs du jardin. On ne peut pas dire qu'elles soient très parfumées, mais celui-ci est tellement bon que ce n'est pas bien grave. Le pain maison, quant à lui, est excellent, avec ce côté "craquant" qui le rend irrésistibke.
Oeuf, citrouille, lard paysan vin paillé
Avec l'ajout d'une crème goûteuse au lard...
Pour ce premier plat, on démarre très fort, aurant dans la présentation que pour le goût. Le mot citrouille est un peu réducteur, car plusieurs cucurbitacées ont été utilisées, dont la courge spaghetti que l'on aperçoit via le hublot, le butternut, et la Lady Godiva pour les graines. À l'intérieur, bien caché, il y a un oeuf "parfait" cuit à 64 °C qui se marie parfaitement avec le lard et la citrouille, apportant le côté crémeux du jaune et le toucher de bouche délicat – quasi irréel – du blanc. Cette alliance du rustique et du sophistiqué est assez jubilatoire.
Nous avons choisi ce jurançon La Virada 2019de Camin Larrédya qui est à prix relativement doux sur la carte (60 €). Il marie des notes exotiques à la truffe blanche, une texture moelleuse / sensuelle à une fine acidité, même si moins marquée que sur des millésimes plus anciens. L'accord fonctionne bien avec ce premier plat. Un peu moins avec le second. Ce sera avec le "fromage" qu'il donnera son meilleur.
Esturgeon, caviar, mique, radis, épinard
L'esturgeon – et donc le caviar – proviennent d'un élevage local. Il est fumé – et cuit – très délicatement, offrant une texture d'une finesse incroyable. Il n'y a pas besoin de couteau pour le découper. Le radis en pickle apporte un subtil croquant et une pointe d'acidité. Le caviar est totalement raccord avec la chair-mère. La mique contient une mousse d'esturgeon très goûteuse. Quant à l'épinard, on le trouve dans la sauce crémée à souhait, lui apportant une touche végétale et poivrée. Comme le plat précédent, on est en pleine simplexité : il n'y a pas des milliers de trucs dans l'assiette, mais il s'en passe, des choses !
Pigeon, suprême, patate douce
Et sa cuisse longuement confite
L'élement le plus spectaculaire du plat, c'est l'espèce de "barre noire" qui n'est pas très ragoûtante à première vue. C'est du pain imbibé du jus de pigeon et de ses entrailles (enfin, je suppose vu le goût du dingue qu'il a) qui a été ensuite grillé sur toutes ses faces pour être hyper croustillant. C'est une tuerie absolue (je veux bien la recette !). Par contraste, le suprème est tendre, juteux, presque fruité, juste corsé par le jus. La cuisse confite joue les intermédiaires gustatif entre les deux.
Nous avons pris un vin au verre pour l'accompagner : le sommelier – très compétent et passionné – nous a conseillé le Minervois Le bois des Merveilles 2017 de Jean-Baptiste Sénat. Le nez est complexe, profond, mêlant les fruits noirs, les épices, le poivre cubèbe et les notes résino-balsamiques. La bouche est généréreuse, avec une matière dense et veloutée qui nappe tout le palais, rafraîchie par des notes mentholées, aboutissant à un équilibre d'une grande justesse. La finale intense, épicée et très fraîche conforte ces impressions, avec un mix sur la cerise noire, la cacao, la baie de genièvre et le menthol.
Roquefort, noisette, miel et châtaigne
Nous ne nous sommes pas concertés, mais cela correspond parfaitement à ma vision du fromage, hybride sucré / salé assurant la transition en douceur vers la fin du repas. Ce n'est pas de la glace, mais une quenelle de crème fouettée aromatisée au roquefort. Le dosage est d'une rare justesse : on a la puissance et l'énergie du fromage, mais toute en douceur, sans agressivité. Le crumble miel / noisette / châtaigne apporte du croquant et un peu de douceur. Là encore, on est en pleine simplexité.
Carotte, orange, citron, thym, noix
C'est le chef pâtissier, Moulaye Fanny, qui viendra nous présenter en personne les deux desserts. Le premier est un carrot cake recouvert d'un disque de gelée orange/carotte et d'une mini pizza soufflée garnie d'une crème au mascarpone. Original et drôlement bon.
Il était accompagné d'une brioche au timut. D'ordinaire, je déteste le timut, hélas trop à la mode. Et là, je m'aperçois que ce n'est pas que le timut est mauvais, mais qu'il est mal dosé dans 99.99 % des cas. Son goût est bien perceptible, mais d'une grande délicatesse, et donne à la brioche des notes de fleur d'oranger (le pâtissier me confirme que ça vient bien du timut). Vu que j'en ai pas mal à la maison (on m'en a offert deux fois !), je vais pouvoir faire des tests et arriver au dosage parfait.
Poire, amande, cardamome verte, gingembre
Les tuiles sur le dessus, c'est du jus de poire déshydraté. Quand vous en mangez une, vous avez l'impression qu'il s'écoule en bouche. Tout n'est que légèreté et finesse dans ce dessert, comme ce très subtil goût de cardamome se mariant parfaitement avec la poire. On est bien.
Les mignardises, très bonne aussi.
La cuisine en fin de service.
Même les toilettes sont au top !
Ce repas fut parfait de bout en bout, autant au niveau des plats que du service, attentif sans être jamais pénible, rappelant les meilleures tables que j'ai pu faire. On peut autant dire du cadre et des couvers, digne d'un 2-3*. Il ne serait donc pas surprenant que ce restaurant grimpe rapidement les échelons, car je ne vois aucun obstacle à cela. J'espère juste que les prix ne grimperont pas trop rapidement, car pour l'instant, ils me conviennent bien (on en a eu pour 115 € par personne, tout compris).
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3 La Raufie 19120 Altillac
du mercredi au samedi : midi et soir
05 19 90 00 19