Un repas dinguissime !
Dinguissime, il ne l'est pas par les plats servis, mais comme vous le verrez, par les vins qui vont les accompagner. Depuis 9 ans, j'aurais pu finir par m'y habituer, mais Ludovic ne cesse de se réinventer et de trouver de nouveaux thèmes auxquels on n'aurait pas pensé. Comme j'étais chargé de la première mise en bouche et du dessert, je connaissais les deux champagnes, et je savais qu'il y aurait des liquoreux de Loire suivis de deux portos. C'est tout. Pour le reste, mystère...
Je suis arrivé chez Adrien trois heures avant le repas pour faire mes diverses préparations. Je n'ai pas arrêté une seconde alors qu'au final, il n'y a rien de spectaculaire. Adrien, lui, se chargeait du reste : deux plats de poisson (froids) pour accompagner deux fois deux vins blancs, et des viandes à griller à la planche avec quelques légumes. Mais lui non plus n'en sait rien.
Voici la mise en bouche : c'est un toast de brioche (française !) avec du foie gras snacké à la plancha, des pommes vertes snackées dans le gras du foie, et une brunoise de citron confit. Pour éviter l'oxydation, les pommes avaient été citronnées, ce qui avait augmenté leur acidité, ce qui était très bien pour l'accord à venir.
Et voici le premier duo (plutôt que duel) : Dom Pérignon oenothèque 1996 et Salon 1996. Ce millésime exceptionnel peut donner une chance au Dompé d'être au niveau de son homologue, car sur d'autres années, il est indigne de sa réputation.
Salon 1996
La robe est dorée, avec des fines bulles éparses. Le nez est fin, noiseté et épicé, sans rien de spectaculaire. La bouche est ultra tendue dès l'attaque. C'est un katana qui vous tranche le palais en deux, vous faisant ressentir une fraîcheur vivifiante. Le tout est enrobée d'une matière plutôt dense, faisaint songer à un Chablis Grand Cru de Droin à maturité, avec ses notes de citron et mousseron, complexifié par la présence de micro-bulles crépitantes qui apportent une dimension supplémentaire. La finale prolonge la tension de la bouche, mais la complète par une explosion d'arômes et de fraîcheur qui vous font frémir de stupeur les papilles, avec une longue persistance sur les agrumes confits et le sous bois automnal.
Dom Pérignon oenothèque 1996
La robe est très proche du Salon. Ce n'est pas là qu'on fera la différence. Le nez est très discret, sur des notes d'évolution (sous bois, mousseron, une légère touche d'agrumes). La bouche allie ampleur et tension, avec un trait de bulles acérées qui trace grave (jamais ressenti un truc pareil) et une matière dense et douce, enveloppante. L'amertume et l'astringence – nobles – sont rapidement présentes et apportent puissance et équilibre. Elles se renforcent dans une finale concentrée, avec une acidité citrique tenant lieu de colonne vertébrale. Y a pas, on est en 1996 !
L'accord avec les deux vins était très réussi. C'était pile-poil ce qu'il fallait.
Avec un trio autour du saumon (tartare du boucher, nigiri et rouleau de printemps), nous découvrons que nous allons avoir une horizontale 2010 des vins du domaine Dagueneau, y compris la rarissime Astéroïde. Je suis le premier à ne pas toujours trouver pertinent de boire des vins côte à côte, car souvent l'une des deux bouteilles souffre de la comparaison. Mais dans ce cas précis, j'ai vraiment trouvé l'expérience instructive, sans qu'un vin se retrouve amoindri.
Pouilly-Fumé Buisson renard 2010 : La robe est jaune pâle, brillante. Le nez évoque l'herbe froissée, le cassis végétal, et le pomelo brûlé au four (souvenir d'expérience culinaire "allenesque"). La bouche est tendue, traçante, avec une belle ampleur et une matière charnue, finement pulpeuse, dotée d'une belle fraîcheur citronnée complétée par le fruit du cassis. La finale est savoureuse, très cassis et pomelo rose, avec une persistance sur l'écorce de citron
Silex 2010 : la robe est proche du précédent. Le nez est fin, complexe, sur le zeste de citron; la rose et le cassis végétal. La bouche est longiligne, énergique, avec une matière fuselée élégante d'une grande douceur tactile et une fraîcheur diffuse. La finale est intense, éclatante de fraîcheur, avec une grande persistance sur le citron frais.
Nous continuons avec un excellent saumon fumé à la chair moelleuse, fondante, ni trop salé, ni trop fumé.Bref, un régal, et la nouvelle paire pour l'accompagner.
Ludovic a choisi de mettre Pur Sang en face d'Astéroïde, car le second provient d'une sous-partie de la même parcelle, si ce n'est que les vignes sont non-greffées.
Pur sang 2010 : la robe est or clair, brillante. Le nez est fin, aérien, sur le pomelo, le citron ,et une touche de fumée. La bouche est élancée, harmonieuse, plus ronde et caressante que les précédents, tendue parun fil invisible et une fraîcheur diffuse. La finale est pure, éclatante, sur le citron et la fumée.
Astéroïde 2010 : la robe est plus pure, plus lumineuse que celle de Pur sang. Le nez est plus frais hyper aérien, sur le citron et le cassis. La bouche est d'une pureté cristalline, aussi aérienne que le nez, avec un toucher de bouche arachnéen d'une délicatesse incroyable, et une tension toute en élégance. La finale prolonge toutes les sensations sans les intensifier. Elégance toujours et encore, ne semblant jamais s'arrêter.
Alors non, je ne me lance pas dans le crudivorisme. Les viandes que vous voyez là vont être grillées à la plancha située à 10 cm de l'assiette. Cela permet d'avoir la cuisson que vous désirez, ce qui est TRÈS appréciable.
Nous allons avoir de nouveau deux paires de vins. Cette fois, on part en Espagne en 2009. Nous commençons par deux cuvées signées René Barbier, grande figure de la renaissance de l'appellation.
Montsant Espectacle 2009 : la robe est rubis profond. Le nez est fin, sur les fruits rouges confits, les épices et la fumée. La bouche est longiligne, alliant une grande tension et une belle ampleur, avec une matière tactilement douce, aérienne, surles fruits noirs confits et les épices. La finale est dans la continuité, un peu plus concentrée, avec plus de mâche et d'épices.
Priorat Clos Mogador 2009 : la robe est pourpre sombre. Le nez est plus expressif, sur les fruits mûrs, solaires, et les épices douces. La bouche est ample, pleine d'allonge, avec une matière mure, pleine, sensuelle, avec plus de fraîcheur et de pétulance (merci le Cabernet Sauvignon !). La finale est intense, explosive, pétante de fruits, avec une pointe mentholée et des épices en pagaille.
Là, on est sur un duo de choc, puisque ce sont les deux monstres sacrés de l'Espagne qui se trouvent être sur la même appellation. Il y a donc un sens à les comparer.
Ribera del Duero Vega Sicilia Unico 2009 : la robe est grenat translucide évoluée. Le nez est fin, très intense, sur les fruits confits solaires et les épices orientales, mais aussi la boutique du torréfacteur. La bouche est élancée, intense, offrant une matière très riche, sensuelle, )à la fraîcheur résino-balsamique et mentholée. La finale est très riche, opulante, contrebalancée par une fraîcheur balsamique.
Ribera del Duero Pingus 2009 : la robe est plus sombre, imperscrutable. Le nez est plus fin, plus profond, sur des notes balsamiques et mentholées. Vous être pris par une grande tension dès l'attaque, avec une matière hyper dense tout en étant d'une grande douceur tactile et d'une rare sensualité, et en arrière-plan, une fraîcheur balsamique dinguissime. La finale est ultra fraîche, explosive, d'une finesse et d'une puissance irréelles avec épices a foison. Orgasmique.
En bonus, si j'ose dire, Ludovic nous sort une bouteille improbable donc il a le secret. Quand le liquide est versé dans le verre, on a vraiment que le vin est mort. Mais en fait, pas du tout !
Pauillac Mouton Rothschild 1949 : La robe est ambrée, bien trouble. Le nez fin, sur des notes oxydatives, mais beaucoup de fraîcheur ressentie. La bouche est très fine, longiligne, avec une matière douce, pulpeuse, sur un fruit tertiaire et des notes balsamiques fraîches (eucalyptus;menthol) et chocolatées. La finale est fraîche, harmonieuse, jouissive, sur les fruits confits; les notes automnales et l'aceto balsamico tradzionale, et c'est long, très long...
Suit un second bonus offert par Adrien
Pomerol Château Beauregard 1990 : la robe est grenat sombre, opaque. Le nez est évolué, complexe, sur les fruits confits, les notes tertiaires dont la truffe. La bouche élancée est aérienne, d'une grande douceur tactile, avec une fraîcheur diffuse. La finale est élégante, très fraîche, sur la truffe et l'écorce d'orange séchée.
Le dessert est une tarte tatin dans l'esprit de Philippe Conticini, si ce n'est que j'ai nappé chaque fine tranche de pommes d'un mélange gelée de coing et beurre salé fondu. Ca a mis plus de deux heures à cuire, car au départ, c'était très épais (le triple de l'épaisseur finale). Le socle est une pâte de sablé breton moitié farine de blé, moitié farine de sarrasin.
La crème a été faite avec les épluchures et les trognons des pommes. C'est un petit morceau d'épluchure qui sert aussi de décor.
Deux vins du Domaine Huet, dans deux millésimes qui ne se ressemblent pas, et deux terroirs différents.
Vouvray moelleux 1ère trie Le Mont 1989 : la robe est entre l'or et le cuivre. Le nez est confit sur la pomme tapée et la gelée de coing. Bouche est très longue, super fraîche, dominée par le coing, avec une matière dense très concentrée et une enérgie incroyable. La finale est toute aussi longue, sur le coing et l'orangette.
Vouvray moelleux 1ère trie Haut-Lieu 1990 : la robe est ambrée sombre. Le nez est hyper confit, sur la truffe et caramel brun. La bouche est plus traçante plus concentrée, très séveuse, encore plus fraîche, sur la truffe, le safran, l'orangette et le coing. La finale est d'une fraîcheur transcendantale sur l'orange confite et le coing, completée par le safran. Grand vin, proche dans l'esprit de la Goutte d'or de Foreau du même millésime.
Ludovic m'avait demandé de créer des chocolats pour les deux portos qui viennent. Le cacao est du criollo. Durant son conchage, j'ai ajouté des grains de café qui sont totalement intégrés dans la pâte. Puis le chocolat a été légèrement fumé. J'ai ajouté des figues, du pruneau, de la noisette torréfiée et un peu de poudre de cassis pour lui apporter du fruit. Il y aussi de l'écorce d'orange amère séchée moulue.
L'idée est de voir la différence au bout de 34 ans entre un porto qui est resté longuement en élevage (le Colheita) et un porto mis rapidement en bouteille (le Vintage)
Porto Kopke 1989 Colheita : la robe est ambrée, translucide. Le nez est fin, intense, sur le caramel, le moka et les épices. La bouche est fine, élancée, intense, sensuelle, d'une grande fraîcheur, avec une aromatique très oxydative. La finale est explosive, sur les épices douces, la figue et le moka.
Porto Kopke 1989 Vintage : la robe plus sombre, acajou. Le nez est plus fruité, plus frais, epicé et plein de peps. La bouche est plus longiligne, aérienne, avec une fraîcheur intense, un fruit pur, et une énergie jouissive. La finale est encore plus fraîche, sur les fruits confits, le café, les épiceset l'écorce d'orange.
Tout à gauche, c'est un Mouton 1965 qui a servi pour une excellent sauce qui accompagnait les viandes. Et juste à côté un Bourgogne blanc de PYCM qui était très sympa, fait pour s'étalonner les papilles.