Un pré-anniversaire arrosé et éclectique
Nous sommes réunis le dimanche 7 août, veille de notre anniversaire commun avec Ludovic, en compagnie de ses amis dégustateurs. Mon "frère jumeau" a choisi dans sa cave de très belles bouteilles que l'on a rarement l'occasion de boire. Avec Jehan, nous nous sommes chargés de les accompagner culinairement. Il s'est occupé de la partie "vins rouges", et moi du reste – en précisant que celui-ci n'ayant pu finalement venir dimanche midi, j'ai finalisé les cuissons et présentations. Il aurait peut-être fait autrement les choses.
Nous avons démarré avec un Côtes de Provence rosé cuvée Etoile 2020 du Domaine Ott : la robe évoque l'or rose plus que le rosé. Le nez est fin, épicé, sur le beurre frais et un léger pomelo. La bouche est élancée, tendue, racée, avec une matière aérienne, douce tactilement, superbement équilibrée. La finale est fraiche, acidulée, classieuse, sur le pomelo, les épices et le citron confit. C'est un des meilleurs rosés provençaux que j'ai jamais bus, mais à environ 100 € la bouteille, je ne me précipiterai pas...
Pour l'accompagner, j'ai préparé des verrines de crabe royal avec du pomelo, des pêches blanches et du basilic, dans une gelée de crustacés, pomelo et basilic. L'accord fonctionnait bien.
Nous avons poursuivi avec un Riesling Schartzhofberger Spätlese 1995 d'Egon Muller. La robe est magnifique, entre l'or en fusion et le cuivre. Le nez est intense et complexe, sur l'orange confite, le gingembre, les abricots secs, les terpènes d'agrumes, les épices douces... La bouche est tendue, hyper-traçante alliant une acidité laser à une matière onctueuse, séveuse, d'une concentration folle, et offrant un feu d'artifice aromatique sur les fruits exotiques et les agrumes confits. La finale éclatante, très acidulée, nous faisant une jolie queue de paon semblant interminable. Magnifique vin !
Pour lui tenir compagnie, j'avais préparé du tajine végétal en cigare croustillant, avec une brunoise de carottes et courgettes, du citron et du kumquat confits, du couscous de sarrasin, de l'abricot sec et de la datte, de la menthe fraîche et du Ras el Hanout. L'accord était superbe.
Suivait une paire de vins blancs sec qui n'avaient probablement jamais imaginé se rencontrer. D'un côté, un Dourou Coche 2019 de Niepoort, de l'autre un Chardonnay Mizuiro 2016 du domaine des miroirs (Jura). Tout ce que j'ai pu lire sur le premier disait qu'il était un hommage aux vins blancs bourguignon – et à Coche-Dury en particulier. Je m'étais donc dit que même si le vin est issu des cépages Rabigaton Códega et Arinto, il devrait pouvoir faire face à un chardonnay jurassien.
Le Douro présente une robe jaune paille. Le nez est fin mais expressif, sur le pétard, la noisette et le sésame grillé(e)s, mais aussi des notes de citron mûr qui apportent de la fraîcheur. La bouche est très élancée, déployant une matière ample, enrobante, très aérienne, au toucher fin / élégant, et offrant une grande fraîcheur, formant un ensemble classieux.. La finale est tonique, sur le citron fais /confit et le pétard, avec une persistance sur le sésame grillé. J'aime beaucoup. Vendu aux alentours de 50-60 €, ça me semble une belle alternative aux blancs bourguignons dont les prix explosent.
Le vin jurassien a une robe jaune légèrement trouble. Le nez, au premier abord, est typé nature, sur des notes de cidre fermier. Après aération, la pomme se fait plus noble, s'accompagne de noisette fraîche et d'une fine touche fumée. La bouche est ronde, ample, pulpeuse, tonifée par un filet de gaz carbonique. Là aussi, l'aération lui fait du bien, lui apportant plus de profondeur et atténuant le gaz. La finale est énergique, finement effervescente, sur citron, la fumée et la tourbe. Je ne suis déjà pas convaincu que ce soit une affaire au prix propriété (autour des 40 €). Mais au prix du marché gris (entre 1200 et 2000 €), c'est du gros délire...
Magritte aurait pu écrire : ceci n'est pas une gaufre, et il aurait eu raison. C'est en fait de la "brioche perdue", réhydratée dans une crème qui a réduit longuement avec des morilles (qui ont été ciselées et mélangées à l'appareil), liée aux jaunes d'oeufs, avec de la noisette grillée finement hachée.
L'accord était très bien avec le Coche. Moins convaicant avec le Mizuiro qui menait sa vie de son côté.
Nous concluons provisoirement la série de blancs avec un Condrieu la Carthery 2017 du Château Grillet. La robe est jaune paille, brillante. Le nez est fin, sur l'abricot, le miel, et une légère touche grillée. La bouche est fine, élégante, aérienne, tendue par une acidité arachnéenne, avec une palette fruits jaunes subtils et un léger boisé. La finale est fraiche, finement amère, sur la pêche jaune et les épices. Rarement fan des vins de Condrieu, je suis ici totalement convaincu. L'équilibre est vraiment top !
Ayant lu des commentaires qui allaient dans ce sens, j'avais prévu un plat tout en finesse, avec des langoustines en shabu shabu. Placées crues dans l'assiette creuse avec de la pêche, de l'abricot et de la mangue (choisis tous les trois pas trop mûrs), elle sont tiédies par la chaleur d'un bouillon très chaud à base des têtes et des carapaces des langoustines, de citronnelle, de gingembre et de feuilles de combava. Un des plus beaux accords du jour.
Nous démarrons les vins rouge avec la cuvée Magma 2017 de Frank Cornelissen (provenant de vignes centenaires non greffées de Nerello Mascalese plantées à 900 m d'altitude sur les flancs de l'Etna). La robe est rubis sombre. Le est gourmand, plutôt simple, sur les fruits rouges et le poivre.La bouche est ronde, ample, finement perlante, avec une matière douce, veloutée, d'une grande fraîcheur aromatique. La finale est intense, plus tannique, avec un fruit très expressif et des notes d'écorce d'orange. Peut-être que c'est trop jeune, peut-être que le vin demande à être "préparé". Mais j'ai l'impression de boire un vin "glou glou nature" comme j'en bois souvent dans mon métier de tous les jours. C'est dommage d'avoir un si grand potentiel viticole pour aboutir à cela. Vendu aux alentours de 200 €, le rapport qualité/prix est désastreux.
Pour accompagner ce vin, Jehan a préparé du canard légèrement fumé en très fines tranches, avec une sauce contenant de la prune, des graines de coriandre, de la menthe, de l'ail (blance et noir et du sarrasin croquant, servi avec des quartiers de betterave snackés sur la plancha. Ca ne faisait pas partie des consignes, mais les tranches de canard les ont rejoints quelques secondes, histoire de les tiédir et de leur donner de la couleur aux joues. L'accord fonctionnait bien.
Nous arrivons au duo le plus intéressant du jour, entre deux pinots noirs champenois très réputés. La Côtes aux Enfants 2002 de Bollinger et l'Ambonnay rouge Cuvées des grands côtés 2017 d'Egly-Ouriet.
Le premier affiche une robe grenat tuilée. Le nez est évolué, sur les fruits rouges, le sous-bois et le cuir. La bouche est élancée, avec une matière pleine, veloutée, séveuse. Et une finale fraîche, très finement mordante, sur la cerise et le sous-bois.
Le second présente une robe grenat translucide. Le nez discret, laissant s'échapper de la cerise, quelques épices et une fine pointe terreuse. La bouche éclate de fraîcheur dès l'attaque, avant d'offrir une matière fine, tendue, racée, au fruit pur, intense, vibrant. La finale prolonge la dynamique de la bouche, renforcée par une fraîcheur hénaurme et un fruit éclant. Vraiment excellent ! Ce n'est apparement pas donné, mais moins cher que du Magma. Le choix est vite fait ;-)
Pour ce duo, Jehan a préparé du cochon confit, de la polenta crémeuse, et une sauce cassis/cerises, poivre de cassis. Le plat convenait mieux au plus jeune des deux, au fruit plus vigoureux. Mais l'autre n'en souffrait pas.
J'avais entendu parler (en bien) du vin suivant, mais je n'aurais jamais pensé à l'acheter (ça pique !). Ludo l'a fait. Je veux parler du Clos d'Ora 2014 de Gérard Bertrand, le haut de gamme de sa production (en biodynamie, travaillé au cheval, tout ça....). Sa robe est pourpre sombre. Le nez est fin, sur la framboise, le cassis, quelques épices et une très fine touche fumée. . La bouche ronde, ample, enveloppante, offrant une matière très fine et fraîche, avec un fruit d'une belle pureté, avec un soubassement minéral. La finale est toute aussi fine, harmonieuse, au fruit élégant, très subtilement épicé. Loin du vin de rugbyman que l'on pourrait imaginer : on est sur l'un des vins les plus fins du Languedoc. Bon, il n'empêche que le prix de vente est totalement déconnant (proche des 200 €...).
Il était accompagné d'une tranche de gigot d’agneau en cuisson très longue aux thyms du jardin, de celéri rôti au four et de petit épeautre (avec un jus de cuisson). Le vin se mariait très bien avec les différents élements.
Pour finir avec les rouges, deux Saint-Emilion totalement inconnus. Un Louis Plantevigne 2005 (provenant d'une parcelle centenaire de 0,63ha plantée en 1904, et comprenant les cépages Merlot, Malbec, Cabernet Franc et Cabernet Sauvignon) et un Secret des grands chefs Alain Dutournier 2009 (projet lancé par un gestionnaire de fonds et Gérard Basset qui a apparemment tourné court, comme le prévoyait Jancis Robinson).
Le premier possède une robe grenat translucide. Le nez est fin, sur la framboise et le poivre blanc. La bouche est fine, élancée, fraîche, avec un très beau fruit. La finale est subtilement ment amère, sur la mûre, et les épices. C'est très bon, et super fin pour un 2005 élevé en 100 % fûts neufs. uvée des chefs 2009
Le seconde présente une robe proche. Le nez est discret, sur les fruits rouges et noirs, quelques épices. La bouche est plus élancée, fraîche et tendue, avec une matière plus dense et juteuse, et fruit superbe. La finale est intense, fraîche et acidulée sur la framboise et poivre blanc. Un excellent vin qu'il serait intéressant à comparer aux ténors de l'appellation.
Dernier plat made by Jehan : du bœuf grillé , jus à la sauge, et truffade « à la wallonne » (pommes de terre nouvelles encore texturées, ail, la mozzarella belge, et un tout petit peu de poireau d’été pour la fraicheur).
L'accord se faisait surtout très bien avec la viande, mais l'accompagnement ne nuisait pas.
On repasse à deux vins blanc secs pour les fromages. D'abord un Coteaux champenois Perpétuité de Drappier, qui est un blanc de noirs en réserve perpétuelle (de 2002 à 2019). La robe est or pâle – ce qui peut surprendre vu l'ancienneté du vin. Le nez est fin, sur la craie humide, le citron et le beurre frais. La bouche est ronde, fraîche, pulpeuse, légèrement perlante, et vraiment très gourmande. La finale est crayeuse, vive, d'une terrible irrésistibilité. J'aime beaucoup ! Et le prix n'est pas déconnant (entre 40 et 50 €).
Je m'attendais à un vin beaucoup plus patiné. D'où ce Chaource garni de fruits secs grillés (amandes, noisette, pistache, noix de cajou, pécan), mais aussi de chaource très affiné rapé finement. Cela dit, l'accord était délicieux.
Au départ, Ludovic avait prévu cette Coulée de serrant 1990 pour le final de la première série de blancs. Je me suis dit qu'elle serait plus à son avantage si on la plaçait juste avant le liquoreux avec un fromage affiné. Et franchement, je crois que j'ai eu raison, permettant de finir ce repas par deux grandes expressions du chenin. Sa robe est d'un or intense. Le nez est intense et complexe, sur le coing confit, la pomme tapée, la noix verte, les épices douces. La bouche est vive, tendue par une acidité intense, tout en déployant une matière mûre, moelleuse, concentrée, d'une fraîcheur superlative. La finale est éclatante, jouissive, sur le coing, l'orange confite et les épices. Grand vin, tout simplement (et ma meilleure Coulée de Serrant).
Pour lui tenir compagnie, j'ai fait un "millefeuille" de vieux gouda et de pâte de coing, parsemé de pistache grillée. L'accord était bouleversifiant, me souffle Daniel Toscan Séplanté ;-)
Nous concluons par un vin que je rêve de déguster depuis longtemps : un Vouvray Goutte d'or 1990 du domaine Foreau. Sa robe est d'un impressionnant acajou sombre, faisant songer à un vieux madère. Le nez est hyper intense / complexe, sur la gelée de coing, le kumquat confit, le miel de sarrasin, une foultitude d'épices. La bouche est toute aussi intense, confite, caramélisée, séveuse.... La finale est raccord, monstrueuse et sublime. Sans conteste le meilleur chenin de ma vie, et l'un des plus grands liquoreux de mon existence. Hénaurme vin !
J'avais préparé une tarte tartin avec un caramel au coing et au yuzu. Elle était accompagnée d'une glace aux trognons de pomme caramélisés. L'accord était extra, même si le vin écrasait tout sur son passage.
Eh bien, voilà, c'est tout. Merci à Ludo pour les vins, à Jehan pour son aide,et à Adrien pour son accueil (et ses nombreux coups de main).