Repas mémorable au Clarence
Avant la "crise Covid19", j'avoue que je n'aurais jamais osé franchir les portes du Clarence, quand bien même j'étais intéressé par la cuisine de Christophe Pelé (dont je suis les "exploits" de loin depuis une quinzaine d'années). Le virus étant passé par là, ce restaurant a dû s'adapter comme les autres. Pendant le confinement, il a fait des plats à emporter. Et maintenant, il propose le midi des menus à 55 et 90 €. C'est un article d'un blog que je ne connaissais pas qui m'a décidé : on pouvait y lire que le Clarence ne se moquait pas du client, multipliant les petites assiettes. Je suis allé sur leur site, et j'ai réservé pour le 15 juillet à 12h30. Au départ, pour une seule personne, histoire de bloquer la table. Mais j'ai rapidement contacté plusieurs amis parisiens à qui j'ai proposé de me rejoindre. En premier lieu Chihiro Masui, la femme qui murmure à l'oreille des chefs (qui a co-écrit un livre avec Christophe Pelé). Elle a accepté de suite ! Et puis Emmanuel, créateur sonore passionné de cuisine japonaise et Romain, amateur de vins et créateur du podcast Le bon grain de l'ivresse.
12h30. Je suis sur l'avenue Franklin Roosevelt devant le Clarence. Emmanuel et Romain m'ont rejoint. Je reçois un message de Chihiro qui me dit qu'elle aura un peu de retard. Elle a demandé au restaurant de nous faire patienter au salon. Nous nous annonçons donc à l'accueil et sommes amenés dans une très belle pièce au premier étage. Le sommelier vient nous voir pour s'enquérir de ce que nous désirons pour l'apéritif. Il me donne une tablette numérique faisant office de livre de cave. Nous choisisssons une bouteille de Saumur blanc Clos David 2016 d'Arnaud Lambert.
Chihiro arrive. Les mises en bouche également. Des gressins.
Et puis des gougères et des beignets très aériens.
Et puis de délicieuses praires gratinées.
Christophe Pelé nous a rejoint pour nous demander ce que nous souhaitions manger. Chihiro est d'humeur poissonnière. Allons-y donc pour un repas tout poisson. Il se trouve qu'il a sous la main un pageot tué en ikijime la semaine dernière et qui est à parfaite maturation.
Il n'y a plus qu'à tout goûter ! Mention TB pour les praires
Et mention TB aussi pour le vin. Sa robe est d'un bel or brillant. Le nez fait chenin bien mûr sur les fruits blancs rôtis au beurre (pomme, poire, coing). La bouche est nettement plus fraîche que ce que l'on aurait pu imaginer, tout en offrant une matière ronde et mûre, assez dense. Il est aussi bon pour lui-même que dégusté avec les mises en bouche.
Nous redescendons au rez-de-chaussée où notre table nous attend. Il nous est servi presque de suite une fougasse au jambon cru et à l'huître. La première bouchée surprend lorsque vous mordez dans l'huître : vous faites un plongeon directement dans la mer. C'est d'autant plus intense que l'huître est chaude. Mais on s'y fait vite et on en redemande !
Dernière mise en bouche ou premier plat ? Je ne sais pas trop. Voici en tout cas langoustine en tempura, corail, thé vert. La cuisson du crustacé est parfaitement maîtrisée : la chair tendrissime est bien nacrée. La pâte est très croustillante. D'où un délicieux contraste. Je n'aurais pas osé me servir du corail cru. À tort : c'est moins puissant que ce que j'imaginais et ça va très bien avec le thé vert. Il y a aussi de l'avruga (à base d'hareng fumé) qui apporte une touche saline/fumée.
Le premier pain est une sorte de brioche feuilletée non sucrée. Très très bonne !
Arrivent en même temps trois assiettes autour du thon rouge. Dans la première, il est mi-cuit, avec de l'ajo blanco, de la myrtille, de la poutargue, de la tomate verte et du pourpier. Il y a du croquant, du moelleux, de l'acide, du chaud, du froid, du légèrement sucré, du iodé... Le tout est très cohérent, tout en ayant de belles surprises à chaque bouchée.
Puis le voici cru, avec du lait de bufflonne (coeur de burrata ?) et de l'algue nori. Cettte dernière apporte des notes marines au lait de bufflonne, facilitant le mariage entre les trois composants. Je me retrouve plongé dans un univers que je n'aurais pas imaginé même une heure auparavant; et ce n'est pas pour me déplaire.
Et enfin, toujours cru, avec de la crème de pistache, de la myrtille et des graines de livèche. Là, c'est encore plus barré. Mais de l'avis des 4 convives, c'est la meilleure des trois assiettes. Certainement grâce à la livèche qui donne de la niaque et de la fraîcheur. Un plat en apparence simple, mais qui raconte plein de choses...
Bon, la première bouteille est désespérément vide. Et comme une nouvelle série de poisson arrive, il faut faire le plein. Nous commandons un Anjou blanc 2017 de Thibaud Boudignon. Même si c'est le même cépage que le vin précédent, il n'as pas grand chose à voir : la robe est plus pâle. Le nez est plus frais. La bouche plus vive, cristalline. Cela devrait être parfait avec le monstre des mers qui surgit du plateau.
Celui-ci est chauffé, ce qui permet au serveur de prendre son temps pour dépiauter la bête. À votre gauche, on voit Chihiro qui semble rigoler. À votre droite, votre serviteur qui prend la photo que vous êtes en train de regarder ;-)
Comme vous le constaterez dans ce petit film, nous avons craqué pour la peau du pageot qui a l'air croustillantes à souhait. Nous espérons qu'il en sera fait part au chef...
Pour l'instant, c'est la chair qui nous est servie, avec une courgette longue cuite entière et de la salicorne
Mais arrive une sauce vierge au caviar Osciètre qui nous est servie généreusement.
La chair du poisson est somptueuse : elle est d'une moellosité incroyable, très goûtue, et en même temps, impressionnante de densité. La sauce joue sur les registres iodés/acidulés/fruités qui renforcent la complexité du plat. La courgette cuite juste comme j'aime (à savoir à la bascule entre le cru le cuit) apporte du croquant dans un plat où le reste est très moelleux.
Avec la fleur de courgette farcie d'une délicieuse purée de pomme de terre, nous avons de la peau de pageot, et elle aussi divine qu'elle le paraissait (nous ne sommes pas des gens compliqués : nous nous régalons des déchets !)
Et revoilà de la peau de pageot avec du tourteau et de la coriandre
...auxquels sont rajoutés de ravioles et un bouillon (de langoustine, de mémoire). C'est délicieux !
Et pour conclure, dans une brioche à la romana, on retrouve de la joue et de la peau de pageot, avec dessus une moutarde karashi (japonaise). Le meilleur "hot dog fish" que j'ai mangé !
Allez, on passe aux douceurs, avec d'abord un granité pêche et sake. Un régal.
Puis une crème au citron recouverte d'une gelée au citron et d'une feuille de basilic. Le tout est peu sucré (ouf) et d'une grande intensité aromatique. Un vrai hymne au citron ! Ça parait presque couillon, mais c'est l'un des meilleurs desserts que j'aie mangé issu de ce fruit.
En glou, nous avons pris des vins au verre : du Vouvray moelleux 2009 de Foreau et une "vendange tardive"de Vermentino du Clos d'Alzetto. Le premier est plus mûr/confit que le second, d'une grande fraîcheur. Difficile de choisir lequel j'ai préféré. Chacun avait son charme.
Il y avait aussi des bakalavas aux pistaches, presque trop copieux.
Mais THE dessert, c'était celui-là, à base de chocolat blanc, abricot et gingembre confit, plus léger qu'il n'y paraît (et toujours peu sucré).
Et puis un sorbet abricot, cassis, et meringue italienne. Je n'aurais pas pensé à mélanger les deux. Ils s'avèrent très complémentaires. Le meilleur était lorsque vous vous attaquiez à la lisière entre les deux parfums.
Et puis des maras des bois
Et des vrais macarons avec des morceaux d'amandes, garnis d'une crème fouettée aérienne et non une ganache compacte. C'est autre chose que les bidules colorés qui affolent les foodistas...
Je n'ai pas pu me détendre autant que je l'aurais voulu dans les dernières minutes, car je voyais l'heure tourner. Quasiment 5 heures ! Et j'ai un train à prendre à l'autre bout de Paris (et je dois récupérer avant mon bagage en consigne). Bon finalement, ouf, je l'ai eu ! Bon, eh bien quel moment. Et surtout, j'ai été ravi de créer de nouvelles connexions entre mes différent(e)s ami(e)s. Ils auront maintenant l'occasion de se revoir sans moi ;-)