Wine Lab Belgium Edition 2019
Si vous vous rappelez ce que je vous ai raconté en août dernier, j'ai fait la connaissance de Laurent (dit Lab) l'année dernière à l'occasion d'une dégustation de la Tour de Curon , même si nous étions depuis longtemp via LPV. J'ai profité d'un séjour d'une semaine en Belgique pour passer quelques jours à Bruxelles, histoire (entre autres) d'aller à la Bozar Brasserie découvrir le meilleur pâté en croûte du monde.
C'est le soir de mon arrivée après 6h30 de train. À peine étais-je assis dans la salle à manger que Laurent me servait un premier vin à l'aveugle, comme ce fut le cas de tous les suivants. L'idée n'était pas vraiment de jouer aux devinettes – même si bien sûr on ne peut s'empêcher de se demander ce qu'il y a dans le verre – mais plutôt de donner mes impresssions et mes avis, sur ce que j'aime et je n'aime pas, sans être influencé par l'étiquette. Sauf si le vin ne nous bottait pas, la bouteille était achevée avant de passer à une autre (en recrachant, bien sûr !). On n'était donc pas dans une dégustation à la sauvette : nous prenions le temps de voir l'évolution du vin au fil de l'aération en carafe et de son réchauffement (pas loin d'une heure par bouteille).
J'avoue que lorsque Laurent me l'a servi, j'étais plutôt parti sur un muscat, car la rose était très présente (sans les épices du Gewurz). Et puis, la mangue est devenue plus présente, une légère touche pétrolée/fumée est apparue, et là, le riesling est devenu plus évident. En tout cas, cette première bouteille m'a vraiment plu. La soirée démarrait bien !
Staatlicher Hofkeller Würzburg Riesling Trocken 2017 : la robe est dorée, brillante. Le nez est bien expressif, sur la mangue, la rose, avec une touche fumée et pierreuse. La bouche est tendue, énergique, juste portée par un léger filet de gaz carbonique – pas de trame acide à ce stade – avec une matière mûre, au toucher moelleux . La finale vive, dominée par l'écorce de pomelo et les terpènes d'agrume, mêle nobles amers et fine astringence, avec une persistance sur la rose et les épices.
Dès que j'ai verre sous le nez, je me sens en terre connue. Ça, ç'est du Jura ! Mais alors que l'on pencherait plutôt pour un chardonnay, la bouche très vive vous emmène ailleurs... Ce n'est pas la première fois que je tombe sur un faux-ami (au nez) mais j'avoue que c'est la première fois chez Tissot. Habituellement ses Traminers sont plus fruités/floraux
Arbois Traminer 2016, Bénédicte et Stéphane Tissot : la robe est or pâle. Le nez fait très "chardo de Tissot", évoquant Graviers ou Mailloche, sur un grillé/fumé entre pétard et sésame. La bouche longiligne à l'acidité traçante, tranchante même, fait plutôt penser à un savagnin. Elle est enrobée d'une matière faussement légère – elle s'écoule avec fluidité, mais on sent qu'il y a du fond – apportant un sentiment d'harmonie. La finale vive prolonge la bouche sans à-coup, avec un retour du grillé/fumé complété par des notes beurrées et épicées.
Bien sûr, je ne le savais pas, mais l'idée de Laurent était de me faire goûter le même vin sulfité et non sulfité. Il a commencé par me servir le sulfité qui ne m'a pas trop plus (euphémisme) même si le nez à l'agitation était sympa, puis le non-sulfité. Au départ, il était bien réduit, mais en secouant énergiquement la carafe, c'est parti en moins de 5 mn. Plus le niveau descendait, plus le vin était délicieux. Une belle réussite en son genre (alors que le sulfité n'a pas réussi à se "débloquer").
Passetoutgrain Verchères 2017, domaine Rougeot (avec sulfites) : la robe est rubis sombre translucide. Le nez est très changeant : lorsque le verre n'est pas agité, il est plutôt désagréable, sur la vieille futaille délaissée. Alors qu'après agitation, des notes de fruits rouges frais et épicés surgissent du verre. La bouche possède aussi son côté schizophène avec d'un côté la cerise pleine de fraîcheur, de l'autre une astringence et une impression de verdeur, et l'impression d'un vin pas du tout en place. La finale poursuit sur cette dualité. A attendre. On ne sait jamais.
Passetoutgrain Verchères 2017, domaine Rougeot (sans sulfites ajoutés) : la robe est identique. Le nez est au départ bien réduit. Une fois bien secoué en carafe, il s'ouvre totalement et apparaît une palette gourmande de fruits rouges et noirs, de terre fraîche et de poivre blanc. La bouche est élancée, avec une matière croquante, exprimant un fruit pur, intense et frais. La finale charmeuse prolonge le plaisir. Du bonheur liquide !
Une bouteille ouverte à plus de minuit après une longue discussion sur la "volatile positive". Laurent s'est rappelé d'une bouteille qui illustrerait nos propos. Dès le premier nez, c'est magique, et ça le sera de plus en plus jusqu'à la dernière goutte Ce vin avait été évoqué sur LPV en 2003. Déjà à l'époque il avait beaucoup plu. Par contre, un LPVien avait écrit "Mon seul bémol concerne la garde, le vin procure tellement de plaisir aujourd'hui que je doute qu'il puisse en donner plus dans quelques annéees ." Eh bien non, 16 ans plus tard, il est peut-être encore plus merveilleux !
Point d'interrogation 2001, Embres et Castelmaure : la robe est grenat bien sombre mais translucide, avec des légers reflets d'évolution. Le nez est magnifique, évoquant l'étal d'épices d'un souk oriental, les fleurs séchées, la vieille prune, et surtout une volatile qui électrise et sublime le tout. Cette dernière apporte une grande tension à une bouche aérienne, élégante, à la matière soyeuse et tapisssante. L'équilibre est superlatif, et n'est pas desservi par une finale fougeuse de haut-vol, qui réussit être concentrée/intense sans être dure, et qui se conclut sur le kaléidoscpe aromatique perçu au nez complété par des des notes résineuses et balsamique. Grand vin !
Soir 2
Le matin, longue balade à Bruxelles. Ce qui fait que nous avions bien faim lorsque nous sommes arrivés à la Bozar Brasserie. J'y reviendrai, mais ce fut un fantastique moment de gastronomie. L'après-midi, balade digestive et culturelle,en essayant de passer à travers les (froides) gouttes. À peine revenu, Laurent ressort les verres et une première bouteille versée en carafe. Fini, le farniente !
Laurent savait que j'allais chez Van Volxem en début de semaiine prochaine. D'où cette bouteille qui peut me donner un avant-goût de ce que je vais découvrir. Bon, maintenant que j'ai goûté une vingtaine de cuvées, je peux dire que cette bouteille était "trompeuse". Est-ce un effet millésime, mais les vins bus sur place étaient beaucoup plus fins et élégants.
Saar Kabinett Rotschiefer Riesling 2010, Van Volxem : la robe est d'un or intense. Le nez est riche, sur les fruits confis (ananas, pêche, mangue), le "pétrole" et le zeste de mandarine. La bouche est élancée, tendue par une très fine acidité, et déploie une matière mûre, généreuse, d'une grande intensité aromatique. On peut le trouver limite too much. La finale mâchue, délicieusement astringente, sur les fruits exotiques, évite le piège de la lourdeur, d'autant que surgit le citron vert alors qu'on croyait arriver au bout du chemin. Le sucre est quasi imperceptible alors qu'on doit dépasser largement les 10 g/l au vu de la maturité et des 10,5% d'alcool (inimaginable en France)
Depuis le temps que Laurent me parlait de Ludwig Bindernagel, il fallait bien qu'il me fasse goûter sa production. Bon, j'ai bien reconnu le Jura, et voyais bien un assembllage des deux cépages. Après, j'ai trouvé ça pas mal, mais je n'ai pas été renversé
Vin de France BB1 2015, Lulu vigneron (Les chais du vieux bourg - chardonnay et savagnin) : la robe est dorée. Le nez fait très jurassien légèrement oxydatif, sur les fruits blancs tapés, le froment grillé et les épices. La bouche est tendue, intense, très vive sans que l'acidité ne soit saillante. La matière est ronde, aérienne et digeste. La finale envoie du lourd, avec une acidité et une astringence marquées, des amers aussi, avec un retour des fruits blancs et des épices. Pas un vin de fillette...
Le matin-même, nous nous sommes arrêtés assez longuement chez un caviste spécialisé dans les vins grecs (vous ne croyiez tout de même pas que nous nous sommes limités aux monuments historiques ?). Laurent avait reperé cet intrigant "Syrah-Traminer". C'est vrai que ça doit être quasiment unique au monde. Lorsque le caviste nous a dit que les vignes étaient plantés à 1000 m d'altitude, cela nous a donné encore plus envie de le goûter...
IGP Ioannina Syrah-Traminer 2009, Rossu di Monte : la robe est grenat sombre avec quelques reflets d'évolution. Le nez est intense, sur la cerise noire compotée, le cacao, le pain grillé et une touche de sous-bois automnal. La bouche est toute en longueur et en fraîcheur, avec une grande tension et des tannins doux et sensuels. Le seul défaut, c'est que c'est très monolithique aromatiquement, sur la prune et les notes torréfiées/cacaotés. On s'emm... un peu. La finale est malgré tout très chouette, elle aussi très fraîche, sur des notes de réglisse, menthol et eucalyptus. Bref, je reste partagé sur ce vin qui ne peut laisser indifférent. Je serais très curieux de goûter le cabernet-sauvignon du domaine (le plus élévé de Grèce : 1000 m d'altitude).
Au cours de l'une de nos discussions de la veille, Laurent m'avait demandé si je connaissais le domaine Gardiès. Je lui avais répondu que j'en avais des bons souvenirs, en particulier de la cuvée Falaises. Eh bien voilà une Falaises. Et l'on se dit que parfois, vaut mieux rester sur ses souvenirs. La cuvée a nettement moins bien vielli que celle d'Embres et Castelmaure...
Côtes du Roussillon Villages les Falaises 2004, domaine Gardiès ( 45% de Syrah, 45% de Grenache noir et 10% de Carignan - Calcaire de Vingrau). La robe est proche du précédent en un peu plus sombre et évolué. Le nez est plus frais et complexe : prune, fraise,tabac, épices, notes résineuses de garrigue.... La bouche est élancée, avec une matière dense et veloutée un peu trop massive à mon goût. Et plus embêtant : elle devient assez rapidement asséchante et dissociée (ça fait boisé qui a mal vieilli). La finale est sur une aromatique proche du vin précédent, en plus puissant et explosif. La dernière impression est donc plutôt bonne, mais pas suffisante pour que j'adhère.
Soir 3
Deuxième journée de balade bruxelloise, cette fois-ci en compagnie d'une partie de mes amis liègeois. Au programme, Mont des Arts, bouquinistes, ascension du MIM pour une vision panoramique de la ville, pause-déjeuner chez Alexandre, Musée de la bande dessinée.. Et puis, à peine revenus à la maison ... au boulot !
Laurent voulait me faire goûter cette cuvée d'un producteur qu'il a rencontré dans le Jura afin d'avoir mon avis. Dès qu'il me l'a versé dans le verre, j'ai dit que je me croyais au boulot où je bois (trop?) souvent des vins nature. On va dire que c'est intéressant, mais ce n'est pas trop ma came (en même temps, il a peu de défauts pour un vin non sulfité).
Chardonnay de Murphy 2011, Guillaume Gilet et les donneurs de temps : la robe est jaune d'or et limpide à condition de mettre la bouteille debout à l'avance car il y a un paquet de lie au fond de la bouteille. De ce fait, on est sur un nez plutôt réduit qui s'ouvre sur la pomme sure, la pâte d'amande et une touche lactée (babeurre). La bouche est fraîche et tonique, renforcée par un filet de gaz carbonique, avec une matière, ronde, mûre, croquante, plutôt désaltérante. La finale poursuit dans la fraîcheur, complétée par l'astringence et l'acidté d'une pomme verte. Un vin qui paraît très jeune alors qu'il n'est pas (ou quasi pas) protégé – au prix d'une réduction qui nuit à l'aromatique, hélas
Laurent m'a dit que c'était la seule cuvée qui lui avait plus lorsqu'il était allé chez Deiss. Il voulait voir où elle en était. Lorsqu'à l'aveugle, je lui ai dit que ça faisait prémox, il a un peu flippé... Après, une fois que l'on sait que c'est un assemblage improbable de riesling, pinot et gewurztraminer, on ne sait plus trop.. Peut-être est-ce simplement de l'évolution alliée à de la surmaturité.
Alsace Gruenspiel 2011, Marcel Deiss : la robe est entre l'or intense et le cuivre. Le nez fait mûr et évolué sur la mirabelle, l'ananas séché et la cire d'abeille. La bouche est élancée, déployant une matière riche et onctueuse, tapissante, tout en réussissant à être bien équilibrée. La finale est saline, salivante, sur la pêche séchée et les épices.
Laurent ayant bien compris que j'étais fan de Riesling, il voulait me faire goûter une rareté provenant du Luxembourg. Quelques jours plus tard, j'ai vu d'Allemagne les splendides et vertigineux coteaux qui surplombent la Moselle. Il n'y a pas de raisons qu'ils fassent moins bons que leur voisins de Saar-Mosel-Ruwer.
Riesling Ahn Palmberg 2011, Clos des Rochers (Luxembourg) : la robe est jaune paille. Le nez est intense, sur l'ananas, le citron vert, l'écorce de mandarine, le fruit de la passion. La bouche très fine est très traçante avec une fraîcheur étincelante. L'acidité est enrobé d'une matière mûre et concentrée, très expressive. La finale est une explosion d'arômes et de fraîcheur, avec un come-back de l'ananas et encore plus du citron vert. Bu à côté d'autres grands rieslings, il ne serait probablement noté que très bien. Mais ce soir-là, je le trouve excellent.
Puisqu'il en faut bien un dernier, un vin piègeux dont il est bien difficile de déterminer les cépages et l'origine; C'est un peu trop puissant pour mon palais de fillette, mais je fois admettre que c'est très bien fait ! Et avec un plat à la hauteur, il peut certainement se montrer excellent (15 € à la propriété...)
Douro Grande Reserva 2013, Dois Lagares : la robe est grenat très sombre aux reflets violacés. Le nez puissant évoque les fruits noirs confiturés, le moka, la réglisse, les épices et la garrigue. La bouche est à la fois ample et élancée, avec une matière séveuse au toucher velouté, d'une grande concentration – sans être dure. Cette richesse est contrebalancée par une grande fraîcheur aromatique (menthol, cubèbe, eucalyptus). La finale puissante poursuit dans le même registre, complété par des notes balsamiques et chocolatées.
Merci à Laurent pour ce beau voyage oenologique et les longues et passionnantes discussions !