AT : une cuisine sans compromission
Comme chaque année, notre petite bande limousine débarque à la capitale pour tester quelques restaurants dans la capitale. Un choix toujours cruel car l'offre est pléthorique et de grande qualité. Après de longs échanges, nous finissons par tomber d'accord sur 3 A : l'Agrume, AT et l'Astrance. Pour démarrer, je vais vous parler d'AT, car c'est le plus détonnant de tous. AT, ce sont les initiales de Atsushi Tanaka, un chef japonais qui a travaillé chez Gagnaire et dans d'autres grandes tables européennes. Il en résulte une cuisine assez unique en son genre, même si certains critiques – qui fréquentent beaucoup plus de restaurants que nous – lui reprochent une impression de déjà vu, like we say in french.
Il n'y a qu'un seul menu, à 95 € le soir, comprenant 12 services (plus que plat, car cela relève parfois plus de la mise en bouche). Le client est toutefois consulté sur ses allergies ou des ingrédients qui lui déplairaient. La carte des vins n'est composée que de vins bio majoritairement nature. Il y a de quoi s'y perdre, car même moi qui suis professionnel dans ce milieu ne connaissait pas la moitié des vins. Jai choisi pour démarrer un Bourgogne blanc 2015 de Fanny Sabre (dégusté à la Dive l'année dernière). Il était juste parfait, que ce soit seul, ou en compagnie des premiers plats. En deuxième partie de repas, nous avons pris le rosé Susucaru de Frans Cornelissen (Sicile). Un peu dans l'esprit d'un trousseau jurassien, avec du fruit et de l'acidité (un peu de perlant, aussi).
Premier service, donc : poireau / beurre noisette. Un poireau fondant sans être mou, avec d'un côté des notes acidulées fruitées, de l'autre le beurre noisette fondant parfumé et le terreur sucré de la betterave. Un début étonnant qui donne le ton du repas. On va en prendre plein les papilles.
Dur de prendre en photo l'asperge verte et son accompagnement où l'on trouve de l'huître. Les fleurs sont celle du coucou, légèrement sucrées. La cuisson de l'asperge est bien. Après, loin d'être grand...
Juste intitulé Cébette. On la trouve cuite fondante entre deux feuilles croustillantes. Bien, sans enthousiasme non plus.
Ah voici un plat non seulement joli, mais très très bon : Saint-Jacques / limequat / céleri rave. Le céleri est sous forme de purée, mais aussi de tranche tout juste cuite (mais suffisamment). Le fenouil s'incite sous une forme liquide et "feuillue". Le limequat (cousin du kumquat) qui est confit apporte acidité et amertume. En plus d'un jeu de textures, on joue aussi sur plusieurs tempétaratures, allant du chaud au froid. Vraiment chouette !
Le chef Atsushi Tanaka qui participe activement au service.
Borsh / Boeuf / Betterave
avec le jus du borsh qui va avec.
C'est bon, mais c'est tout. Plat un peu inutile...
Camouflage : Omble chevalier / Genièvre / Persil
Ajout de fromage blanc glacé...
... et de jus de persil
L'un des plats signatures du chef, avec l'omble qui est préparé comme un saumon mariné/fumé, mais avec du bois de génévrier. L'équilibre entre les différents ingrédients est parfait. Ca part un peu dans tous les sens, mais avec une idée directrice (le persil). Ca croque, ça fond, y a du moelleux. Le genre de plat pour lequel on va au restaurant car on ne le ferait pas chez soi.
Et retour au boeuf / Topinambour / Foin. L'ordre peut parître déconcertant, mais j'imagine que ça fait partie du jeu que de balader les clients entre chaud et froid, terre et mer... Le boeuf maturé est excellent tant en goût qu'en texture. Le topinambour est servi cru (rondelles blanches). Le foin, lui, a servi à fumer à froid très légèrement la viande. Très joli plat !
Retour à la mer avec Asperge blanche / Calamar / Marjolaine. Et quel retour : tout est parfait dans ce plat, le sommet étant peut-être le bouillon goûteux, avec juste ce qu'il faut de marjolaine (il faut vraiment que j'en plante dans mon nouveau jardin). Le calamar est idéalement cuit, l'asperge itou (tendre et ferme). Miam ++.
Barbue / Chou Kale / Coques. Ce plat souffre un peu de passer après le précédent, car moins "ambitieux". Peut-être eût il fallu les inverser. C'est néanmoins très bien avec un chou Kale cru/cuit, une barbue juste saisie et des coques parfumées. Le bouillon servi dessus est bien aussi.
Agneau du Quercy / Oca / Ail noir. Je précise qu'il y avait un excellent jus d'agneau qui était versé ensuite dans l'assiette (concentré mais pas trop salé). La cuisson de l'agneau (très goûteux et tendre) est TOP. L'oca, étonnant. L'ail noir, judicieux. Un très bon plat, même si plus convenu que d'autres.
Hinoki /Piment de Jamaïque/Mûre. Avec l'omble chevalier, le plus plat le plus graphique du repas (c'est un dessert, au fait...). Et le goût ne ressemble à rien de connu : la glacé et la crème ont infusé avec du bois d'Hinoki, un cyprès japonais. Juste un peu, histoire d'apporter une petit touche boisée/résineuse qui va ma foi très bien avec la mûre cachée sour le crumble. Le piment de la Jamaïque est des plus discret. J'ai beaucoup apprécié car très peu sucré, et d'une rare subtilité. Peut-être trop subtil et peu sucré pour des bouches à sucre. Nous n'avions encore rien vu...
Oseille / Livèche / Avocat. Ce dessert n'est pas plus sucré que le précédent, mais il ne joue pas dans le subtil. Plutôt dans la violence culinaire. L'acidité de l'oseille n'a rien à envier à celle d'un riesling mosellan. C'est tranchant version sabre laser. L'avocat et le sorbet apporte un peu de rondeur. Il ya aussi de la pistache (hisoire d'apporter une autre nuance de vert) qui apporte une touche gourmande grillée. La livèche est plutôt discrète. Elle apporte juste une touche végétale. Ceci dit, j'aime beaucoup car j'aime les choses qui tranchent et vous mettent un uppercut. Là, je suis servi. Mais c'est sacrément osé de servir cela comme plat ultime, car c'est sur ce souvenir que restera le convive. Il a intéret à être bon :-)
Conclusion : je n'ai pas parlé du service, très sympa, efficace, avec le chef qui n'hésite pas à donner régulièrement un coup de main. La formule du menu unique lui permet de moins stresser en cuisine et d'être plus à l'écoute de la salle. Ce qui interpelle dans sa cuisine (en tout cas, je l'interprète ainsi) c'est que le chef ne cherche pas à séduire, en tout cas gustativement (car ses assiettes sont très belles visuellement). Il se pose d'ailleurs la question dans ce très bon entretien : " Peut-être suis-je trop radical. Peut-être que le poids de la tradition est trop lourd à Paris." Radical, c'est ça. Il a trouvé le terme. Cette radicalité, ce refus de compromission dans le gourmand séducteur, c'est ce qui me plaît. Mais c'est ce qui peut vraiment dérouter. Si vous hésitez, allez-y plutôt un midi avec un menu à 55 €. La déception éventuelle vous reviendra moins cher.
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