Fitou, terre d'accueil (2) : une journée riche en rencontres
Autant il faisait un superbe soleil la veille, autant la journée s'annonce pluvieuse. C'est un peu dommage pour la grande balade qu'il est prévu de faire aujourd'hui. Aussi, restons-nous en voiture lorsque nous visitons les vignes du Champ des Soeurs. Nous pouvons tout de même apprécier les différents types de sols de la propriété.
Nous partons ensuite à l'abri au château Les Fenals
J'ai déjà discuté avec Marion Fontanel hier lors du repas des vignerons. Nous rencontrons maintenant son compagnon, Mickaël Moyer, originaire de la Loire où il dirige avec son frère un domaine sur Montlouis. Il avoue beaucoup aimer la région qui lui permet de s'essayer à de nombreuses expériences avec les différents cépages : vins secs, à bulles (de Muscat), vendanges tardives (de Carignan)...
Nous goûtons son "brut de Muscat". Autant j'apprécie les Champagnes Brut Nature, autant j'aime qu'il reste un peu de sucre dans les bulles à base de Muscat (comme dans les Moscato d'Asti). Là, je trouve ça vraiment trop sec. Par contre, leur vendange tardive de Carignan sans mutage à l'alcool (Promenade), est une petite merveille d'équilibre, même si elle aurait gagné à être aérée (il faut dire qu'elle n'a été ouverte qu'au dernier instant, à mon intention).
[caption id="attachment_4450" align="aligncenter" width="375"]Marion Fontanel[/caption]
Stéphane Cros, l'organisateur de la journée regarde sa montre : nous devons y aller car le timing est précis...
En arrivant dans la ville de Leucate, nous passons d'abord au magasin de la cave coopérative locale. Tout ce que l'on peut dire, c'est que c'est joli, puisque personne ne nous a proposé de déguster leur production. Pas le temps ou pas envie ?
Ceci dit, ce n'est pas très grave. Nous avons pu passer plus de temps au chai du Mas des Caprices, à un kilomètre de là. J'avais beaucoup échangé la veille avec Mireille Mann. C'est son mari Pierre Mann que nous rencontrons maintenant. Il nous raconte leur passé de restaurateurs à Katzenthal. Tous les deux sont enfants de vignerons, et ils commencent à envisager à changer de vie. Ils s'essaient d'abord à la Provence, où ils trouvent les gens froids, pour finir par atterrir à Leucate, avec des habitants beaucoup plus accueillants. N'ayant pas de matériel de chai, leur vin est vinifié dans un premier temps à la cave coop. Ils en profitent pour passer en bio. En 2009, lorsqu'ils obtiennent le label AB, ils prennent leur indépendance.
Ce qui est bien avec Pierre Mann, c'est que l'on voit que son passé de cuisinier a laissé des traces. Non seulement cela se sent dans la précision des ses vinifications – tout est vraiment top, même le plus petit vin – mais il parle aussi beaucoup des accords gastronomiques possibles avec chacune de ses cuvées.
Non seulement les vins sont tous très bons, voire plus, mais ils ont des noms très sympa : comme le Blanc de l'œuf, vinifié et élevé dans la cuve ovoïde ; Oufti, anagramme de Fitou et expression belge bien connue entendue par Pierre et Mireille dans un salon outre-Quiévrain ; BtoB, un blanc élevé en barrique issu d'un terroir de schistes qui lui apporte une belle minéralité ; Anthocyane, un vin riche en ... anthocyanes.
Nous sommes allés sur le plateau de Leucate qui domine la mer, où Pierre et Mireille ont quelques vignes, sauf que le temps était tellement catastrophique que l'on y voyait que pouic. Même pas la Méditerranée à quelques mètres... Je serais bien resté une heure ou deux de plus avec Pierre et Marc Castain qui nous a rejoint, mais le temps file, et nous devons continuer : il y a de la route à faire...
Nous rentrons beaucoup plus dans les terres pour aller à Villeneuve-les-Corbières. Nous sommes attendus par Alain Izard du domaine Lerys. Lorsque je demande comment cela se fait qu'il y ait des "îlot de Fitou" au milieu de Corbières, on me répond que ces secteurs produisaient il y a une cinquantaine d'années des vin doux naturels (et en produisent encore un peu). Ils avaient donc des liens avec des coopératives proches de la mer qui les vinifiaient. Lorsque Fitou est devenu la première AOC du Languedoc en 1948, ils ont demandé d'être rattachée à celle-ci car cela permettait de mieux valoriser leurs vins (les Corbières ne deviendront AOC qu'en 1985 !)
Alain Izard a repris l'exploitation familiale en 1977. Il ne se lancera toutefois dans les vinifications qu'en 1994. Onze plus tard, il est rejoint par son fils Alban. Ils ont décidé de faire deux gammes de vins. Les vins d'Alain, plus traditionnels, avec des bouteilles et des étiquettes "à l'ancienne". Et des vins plus modernes d'Alban, avec des bouteilles et des étiquettes tout aussi modernes. Alain commence à nous faire déguster les vins d'Alban.
Solène 2010 : le nez est fin et frais, sur des notes de baies de cassis écrasées et de de poivre. La bouche est fraîche, avec une matière douce, raffinée, mais possède aussi une belle tension. Belle longueur, avec une finale saline. Joli.
Aubin 2009 : nez plus complexe, avec toujours du cassis, mais aussi des épices grillés, du fruit confit... La bouche est douce, suave, avec un fruit intense et un bel équilibre. Finale expressive, avec de la mâche.
Tradition 2009 : nez fin, délicat, sur le cassis frais. Bouche ronde, gourmande, avec des tannins fins, glissants, et une finale marquée sur le cassis.
Prestige 2009 : nez plus intense et plus gourmand. Par contre, la bouche me parait un peu austère. J'accroche pas trop.
Château Lérys 2008 : nez plus opulent, toujours sur le cassis ;-) Bouche plus dense, avec un beau fruit et une tension plus importante. Bon équilibre général.
Entre temps, arrivent pour partager notre repas Jean-Michel Schmitt (Maria Fita) et un vigneron de la cave du Mont-Tauch (à gauche). Nous accueillerons aussi Gilles Contrepois, du domaine du Grand Guilhem. C'est d'ailleurs les vins de celui-ci que je déguste en premier lorsque nous passons à table.
Corbières 2012 (échantillon cuve) : nez fin, sur des notes florales et d'agrume. Bouche fraîche, tendue, légèrement perlante, avec une belle mâche finale.
Angels 2011 (vinification intégrale en barrique) : nez expressif sur les fruits noirs bien mûrs et les épices. Bouche ronde, ample, charnue, au fruit intense et aux tannins caressants. Finale sans aucune dureté. Une belle réussite !
Armé de son tire-bouchon, Jean-Michel Schmitt part ensuite à l'attaque.
Fitou 2009 : nez assez discret, sur des notes fruitées et fumées. Bouche ronde et mûre, mais manquant un peu d'unité, avec des tannins pas vraiment en place. À regoûter dans quelques années.
Fitou MF 2009 : nez plus expressif et plus complexe. Bouche plus ample, avec beaucoup plus de tension, et de beaux tannins soyeux. Le jour et la nuit avec le vin précédent.
Le Blanc de Marie : nez marqué par des notes oxydatives (volontaires). Bouche ample, fine, harmonieuse, pas lourde pour un sou.
Au moment du dessert, deux douceurs
Rancio du domaine Lerys (Grenache Noir oxydé) : nez sur le café, les écorces d'orange, le vieux rhum. Bouche douce, longue, harmonieuse, sans sensation d'alcool ni sucrosité. Très digeste.
J'avais un peu peur que le Muscat Amphore de la Cave du Mont Tauch passe difficilement après le Rancio. Mais non : le nez est explosif, sur les fruits exotiques, la fleur d'oranger et la rose. Et la bouche est fraîche et gourmande, très bien équilibrée. Sympathique fin de repas.
Pour nous faire digérer, Alain nous proposer une petite balade dans ses vignes. Son 4X4 n'est pas inutile, car les sentiers sont très pentus et pas vraiment carrossables. Il est certain que le ciel bleu eût été un plus, mais même avec la grisaille, le paysage est superbe, et les gobelets émergeant de ces sols arides, j'adore !
Allez une petite dernière :
À peine descendu du 4X4, nous remontons dans le Scénic de Stéphane
et descendons à Tuchan pour notre dernière escale :
Le Château Wiala a été créé par un couple de néo-vignerons qui se sont rencontrés en 2001 sur les banc de l'école du CFPPA de Narbonne. Alain Voorons avait une société de production audiovisuelle et faisait de l'évènementiel. Wiebke Seubert est allemande et vit dans l'Aude depuis plus de 20 ans. Elle a grande sensibilité au végétal et sait d'instinct ce qui est bon pour lui. C'est donc tout naturellement que le domaine est passé en bio. Et même un peu plus que cela : ils font beaucoup de traitements à base de plantes, mais en aucun cas de la biodynamie, dont ils ont du mal à comprendre le concept...
[caption id="attachment_4478" align="aligncenter" width="450"]Alain Voorons[/caption]
Alain et Wiebke nous font découvrir leurs 3 cuvées de rouge :
Rebelle 2009 : nez mûr, concentré, sur les fruits noirs, les épices et un côté "ferreux". La bouche est souple, ronde, avec des tannins soyeux et une bonne fraîcheur. Finale savoureuse, gourmande.
Harmonie 2009 : en plus des notes fruitées et ferreuses du premier, on trouve aussi des notes florales (violette). Bouche plus ample, avec toujours une matière très douce, soutenue par une discrète acidité. Finale florale, sans aucune dureté.
Sélection 2009 : très joli nez avec un élevage bien intégré : fruits noirs, olive noire, schistes. Bouche encore plus ample et plus aérienne : c'est presqu'un voile qui de dépose sur le palais pour se faire ensuite plus charnu. Finale mâchue et séveuse. Superbe.
[caption id="attachment_4479" align="aligncenter" width="450"]Wiebke Seubert[/caption]
Une très belle découverte encore que celle de ce domaine, de ces vignerons… et de leurs vins ! Il est vraiment doué, ce Stéphane Cros, car il ne nous a trouvé que des vignerons passionnés, intéressants, attachants et produisant des bons vins (très différents les uns des autres, en plus). Fitou serait-elle une terre bénite pour les amateurs de vins ? En tout cas, les sols de calcaires et de schistes, le climat méditerranéen, la proximité de la mer, les vignes parfois centenaires... contribuent à des vins de grande qualité. Si en plus le vigneron est doué, on peut encore passer à un niveau supérieur.
Reste que plus de 60 ans après son accession à l'AOC, Fitou cherche encore à se faire un nom dans un monde où les vins de qualité sont toujours plus nombreux. Je n'ai l'impression d'apporter qu'une toute petite pierre à l'édifice, mais c'est toujours cela.