Comment j'ai passé 72 h sans internet (2) : Laroque, Tirecul la Gravière et un incroyable Pessac Léognan de 1970
Vers 11h30, je quitte donc Combrillac pour retourner à un domaine où j'ai habité durant deux ans et vendangé à de nombreuses reprises : le Château Laroque (vous pouvez trouver tous les posts que j'ai écrit sur le domaine ou ses vins en cliquant ICI). Jacques et Elisabeth sont maintenant à la "retraite", ayant passé le relais à leur fils Olivier. Mais ils ne sont pas inactifs. Non seulement le château est refait petit à petit ( à l'intérieur comme à l'extérieur – ils font "accueil paysan"), mais ils réaménagent l'une des dépendances pour en faire un gite.
Nous déjeunons dehors, à l'ombre du château (du côté Nord). Du coup, nous sommes presque au frais. On dirait qu'Elisabeth a fait exprès de préparer des cotelettes d'agneau grillées, puisque j'ai améné un Faugères 2009 de Barral. Telle une signature du producteur, l'acidité volatile est prononcée – on doit flirter avec la limite autorisée – mais elle est encore à un niveau supportable apportant une sorte de fraîcheur à une matière généreuse, mais bien ronde. L'accord avec l'agneau et la ratatouille est nickel.
Le temps passe vite car nous avons beaucoup de choses à nous raconter. Je pars sur les coups de 16h pour rejoindre l'ami Christophe avec qui j'ai travaillé à Tirecul la Gravière. J'arrive au moment de la finale de Hand Ball, et j'assiste donc à la victoire française (la seule chose que j'ai vue en 15 jours de JO). Histoire de lui faire profiter des vins que j'amène ce soir chez son patron, j'ouvre les trois bouteilles : un Clos de la Néore 2008 de Vatan, Un Montcalmes 2008 et une Sélection de Grains Nobles de Pinot gris 1989 "Cuvée Laurence". Le Sancerre est droit, ample, d'une minéralité confondante (on boit du caillou), avec une finale qui dégage. Le Coteaux du Languedoc allie finesse, densité et fraicheur, loin des archétypes des vins régionaux. Le SGN a un superbe nez, mais semble un peu fatigué en bouche. On verra ce que ces vins donneront dans la soirée...
19h45 : je suis sur la terrasse de la maison des Bilancini, juste en contrebas du château de Monbazillac (dont l'on aperçoit la toiture sur la photo). Avant d'attaquer le repas, Bruno tient à me faire déguster un rouge à la robe diaphane de couleur cerise :
Petit aparté : on dit que la vérité est dans le verre. Je ne sais pas si c'est vrai, mais on y lit en tout cas plus facilement que dans une boule de cristal : on y voit bibi en train de prendre la photo, Bruno en chemise blanche un verre à la main, la table en bois exotique, la balustrade de la terrasse et les vignes du châtea de Monbazillac. Voici un gros plan :
Pour en revenir au rouge, son nez s'exprime d'abord sur des notes grillées pour ensuite laisser place à la griotte et à des notes d'humus (la terre fraîche que l'on vient de remuer). Plus tard dans la soirée et encore plus le lendemain, des notes florales apparaîtront, mais aussi d'encens. Le toucher de bouche est remarquable, car malgré la légèreté apparente, il y a du fond. C'est ample, presque "gras" et surtout, c'est long, avec une finale marquée par la fumée et les épices. Il y aurait eu un peu plus de fraise et de tabac, je serais parti sur un vin d'E. Reynaud. Mais là, on est en Bourgogne. C'est un Chassagne-Montrachet 1er Cru "Clos de la Boudriotte" 2008 du domaine Ramonet. Un très beau vin dans ce millésime considéré (à tort ?) comme mineur.
Nous démarrons le repas avec des toasts qui iront parfaitement avec le Sancerre que j'ai amené :
Par rapport à tout à l'heure, il s'est encore complexifié, avec un côté caillouteux encore plus prononcé, une grande tension et une finale à la "mâche calcaire" prononcée. Je l'ai amenée ce soir, car je sais que Bruno est fâché avec le Sauvignon (il a arraché toutes le vignes de ce cépage à Tirecul) et je voulais le réconcilier avec celui-ci. C'est réussi : il adore ! Mais il m'explique qu'il n'a rien contre le Sauvignon en général, mais contre le mauvais Sauvignon (il faut reconnaître que ce dernier pullule...).
Il fait déjà nuit lorsque le gigot d'agneau est servi (tiens, je m'aperçois que j'aurais pu appeler mon billet : comme j'ai mangé deux fois de l'agneau dans la même journée ;-)). J'ai de la chance, mes hôtes font à chaque fois le plat qui va bien avec le vin que j'amène... Si je trouvais tout à l'heure le Montcalmès d'une grande finesse, c'est sûr qu'après le Chassagne, il paraît plus brutal. Néanmoins, il répond bien aux saveurs marquées de l'agneau (et au jus longuement concentré, explosif !).
Mais il va encore avoir une plus rude concurrence avec le vin que Bruno apporte en carafe. Si la robe semble aussi légère que le Bourgogne, sa couleur est plus évoluée. Le nez sur la boîte à cigare et la feuille de cassis laisse penser qu'on est sur la rive gauche de Bordeaux. Je pars d'abord sur Margaux qui faisait des vins légers il y a quelques décennies. Perdu. Bon, allez, Pessac Léognan*. Yes ! Après, trouver le château est une autre paire de manche... Et la réponse est : La Louvière 1970 ! Unglaublich, dirait Angela.
Ce qui est drôle, c'est que deux heures plus tôt, je parlais à Bruno de mon entretien récent avec John Kolasa, gérant de Canon et de Rauzan-Ségla, qui nous parlait de sa nostalgie des Bordeaux à l'ancienne. Et v'là que je tombe sur un archétype de ces vins, d'une finesse arachnéenne, à la matière délicate mais tendue par une belle acidité, et avec encore de la rondeur, du fruit, et beaucoup de gourmandise. Voilà une preuve qu'un vin n'a pas besoin d'être un monstre de concentration pour pouvoir tenir plus de 40 ans ! Nous le reboirons le lendemain midi, après plus de 12 heures de carafe, et il tiendra encore la route !
Le sorbet aux agrumes (mandarine ? Clémentine?) ne sauvera pas ma SGN, qui sent toujours aussi bon, mais est d'une platitude en bouche irréparable. Dieu merci, les Bilancini ont de la ressource : ils ont du liquoreux en boutique (étonnant, non ?)
Rhhhaaa, que j'aimerais revivre la magie de la première fois. Cette richesse superlative, ce gras impressionnant équilibrée par une belle acidité, ces arômes d'abricots rôtis et d'agrumes confits. C'est grand, mais y a plus le choc initial de la première Madame, étourdissant. Bref, je l'aime beaucoup, cette Madame 2005, mais j'ai pas le vertige. En tout cas, cela fait un excellent digestif, et me prépare à une belle nuit que je vais précisément passer au domaine, quelques mètres au-dessus des barriques de liquoreux. Si je ne dors pas bien, avec ça...
_________________________________
* les observateurs auront remarqué qu'il est écrit Graves sur l'étiquette, et non Pessac-Léognan. Mais z'aujourd'hui, La Louvière est bien un Pessac-Léognan.