Lapeyre, y en a pas deux ... à Jurançon !
Le GPS indiquait 8 kilomètres entre l'appartement de mon oncle à Pau et le Clos Lapeyre à la Chapelle de Rousse. Mais quels kilomètres ! Routes pentues, étroitissimes, en lacet infernal. Quand bien même elle a été réparée la semaine dernière, ma p'tite voiture était contente d'arriver en haut, car le moteur chauffait dur...
Mais ça valait le coup : les paysages en terrasses sont vraiment impressionnants. J'apprendrai un peu plus tard que les vignes les plus à gauche sont celles de Camin Larredya, tandis que celles du milieu sont au Clos Lapeyre.
La principale raison de ma présence est le souvenir encore très présent d'un vitatge vielh 2005 du domaine qui m'avait ébloui lors d'une rencontre franco-belge : "nez fin et complexe sur les fruits très mûrs, presque confits et de nobles notes d'élevage. Ca ne prépare pas vraiment à la bouche qui est d'une fraîcheur renversante, avec une acidité saillante qui réveille et ravit le palais. Hormis celle-ci, le nez est confirmé par une matière bien mûre, presque grasse. La finale est intense, toujours dominée par cette acidité surréaliste. J'adore !"
C'est comme ça, un amateur de vins : il fait des centaines de kilomètres parce qu'un vin l'a ému, et qu'il a envie de connaître le lieu qui l'a enfanté. Eh bien j'y suis. Je suis d'abord accueilli par Magali, l'assistant commerciale du domaine qui me fait faire le tour des vignes jouxtant la propriété, et déjà je suis impressionné par la propreté de celles-ci. Réussir à ne pas avoir une herbe qui dépasse dans des vignes en terrasses travaillées en bio, c'est trop fort
Du matériel perfectionné est utilisé pour avoir un tel résultat, mais je le verrai un peu plus tard dans une parcelle : il faut aussi de l'huile de coude pour parachever le travail. Après m'être présenté à Jean-Bernard Larrieu, il me propose de faire un tour des parcelles les plus spectaculaires avec son 4X4. Avant même que je réponde, ma voiture a dit OUI tout de suite ;o)
Cette balade va durer presque deux heures...
où je suis tombé sous le charme des courbes sensuelles de la vigne...
... des grappes qui se dorent tranquillos au soleil
... des pieds vénérables
... des pentes qui vous donnent le tournis
... des ouvriers en sueur
... de Môssieur et Madame Faisan
... du Gros Manseng qu'est pas si gros que ça
... de la passion de mon guide, inaltérable
(la passion, pas le guide, quoi que...)
... et des paysages à couper le souffle !
Historiquement, le domaine existe depuis 1920, avec une importance moindre de la viticulture. Le père de Jean-Bernard élevait des blondes d'Aquitaine (pour la viande) et cultivait des fraises. La production des 4 hectares de vignes partaient à la cave coopérative. Après des études viti-oeno, son fils produit dans un chai de fortune le premier millésime en 1985. Trois ans plus tard, la culture des fraises est abandonnée alors qu'elle représentait auparavant les 2/3 du revenu de la propriété. Un nouveau chai est construit, de nouvelles parcelles sont plantées, des salariés progressivement sont embauchés. A la fin des années 90, le vignoble fait une dizaine d'hectares. A la suite d'une étude des sols selon la méthode Hérody, le domaine passe en agriculture biologique.
Grappes de Petit Courbut
En 2004, le propriétaire du domaine de Nays-Labassère décède accidentellement, laissant femme et enfants. En attendant que ces derniers reprennent le flambeau, l'équipe du Clos Lapeyre gère les 6 hectares de vigne, convertis à leur tour à l'agriculture biologique.
En ce qui concerne les vinifications, c'est assez simple. Le raisin est pressé puis le jus débourbé en cuve. Les vins d'entrée de gamme sont vinifiés et élevés en cuves inox. Les autres passent en fûts de contenance variée.
L'élevage est plus ou moins long selon les cuvées ou le millésime. Seule la dégustation permet d'en décider la durée. Depuis quelques temps, Jean-Bernard s'est entiché d'un tonnelier autrichien, Stockinger, dont les fûts marquent très peu les vins.
Passons à la dégustation...
D'abord les Jurançon secs :
Lapeyre sec 2009 (100% Gros Manseng) : robe or pâle. Nez frais sur les fruits jaunes mûrs, la fleur d'acacia. Bouche ronde, de bonne ampleur, avec une acidité "citrique" qui monte crescendo. Finale tonique, avec une mâche gourmande. Un vin qui peut remplacer le Muscadet ou le Picpoul pour accompagner des fruits de mer.
Vitatge Vielh 2006 (50% Gros Manseng, 40% Petit Manseng, 10% Courbu) : robe dorée. Nez miellé, commençant à truffer. Bouche plus ample que le précédent, avec une acidité tranchante qui vous transperce le palais. Longue finale persistante, marquée par une noble astringence.
La dégustation de millésimes plus anciens le montrera. Ce vin est à attendre impérativement, car pour l'instant, il ne présente qu'un intérêt limité. Je trouve qu'il se différencie à cela du 2005 qui montrait une gourmandise plus immédiate.
Mantoulan 2007 (70% Petit Manseng, 30 % Courbu et Camaralet, provenant d'une parcelle plantée en haute densité avec des plants issus de sélection massale) : nez sur les fruits confits, le miel. Bouche d'un volume impressionnant, avec une acidité bien présente mais plus en finesse que le vin précédent. Finale pourvue d'une grosse mâche citronnée.
Là aussi, impérativement à attendre.
Jurançon 1998 : nez dominé par la truffe. Bouche ample, toute en rondeur, soutenue par une fine acidité. Finale ... truffée (fô aimer la truffe, j'vous le dis !)
Vieilles Vignes 1996 : nez plus doux, sur des notes de miel et d'encaustique. En bouche, le vin envahit doucement mais sûrement le moindre recoin de votre palais pour ne plus vous lâcher. Très fin, très frais et impitoyablement long. Du lourd.
Puis nous passons aux douceurs...
Moelleux 2009 (60% Gros Manseng, 40% Petit Manseng) : nez plutôt discret sur la mangue et le miel. Bouche ronde, fine, bien équilibrée, avec une finale tonique, mâchue, dominée par le zeste de citron. Les 70g de sucre sont à peine perceptible. On a plus l'impression d'un demi-sec.
Magendia 2006 (100% Petit Manseng) : nez sur la cire et les fruits exotiques. Bouche ronde, charnue, avec une acidité tranchante qui monte crescendo, aboutissant à une finale prégnante et savoureuse. Décapant.
Magendia 2002 : nez "très très expressif" ai-je noté sur des notes d'encaustique. Bouche ample, d'une grande douceur, avec une acidité vibrante plus en retrait. Finale marquée par les mêmes notes de cire et de résine. Un vin prêt à boire, et encore en vente au domaine (18 €).
Sélection 1993 : robe jaune fluo !!! Nez complexe et intense sur la cire, la truffe, le miel de châtaignier. Bouche élancée, pure, d'une tonicité incroyable. Finale intense sur la banane séchée. J'aime beaucoup !
Vent Balaguèr 2005 (100% Petit Manseng) : de l'or liquide, légèrement cuivré. Nez intense sur les fruits confits, la pâte de coing, le zeste d'orange. Bouche à la matière riche, dense, tendue et équilibrée par une acidité impressionnante. Finale ad hoc sur le coing, astringence du fruit incluse, et des notes de safran.
Vent Balaguèr 2002 : nez à fond sur la truffe, avec un soupçon d'encaustique. Bouche plus moelleuse, avec une acidité plus discrète mais néanmoins bien là. La matière est profondément charnelle, gourmande, sans une once de lourdeur. Finale très intense sur la marmelade d'agrume au gingembre. Grand vin.
Vent Balaguèr 2001 : nez plus en finesse, sur les agrumes confits. Bouche ample, grasse, onctueuse, avec une acidité magnifique. Une petite merveille ! (toujours disponible à 45 €)
Jean-Bernard Larrieu produit des vins dans un style décoiffant qui pourra déconcerter nombre de personnes. Il est préférable d'aimer les acidités puissantes comme on peut en trouver dans les Rieslings mosellans. Jeunes, les vins peuvent paraître un peu "brut de décoffrage", mais en vieillissant, ils dévoilent une grâce insoupçonnée, et un potentiel de garde qui doit frôler l'infini.
Clos Lapeyre, La chapelle de Rousse, 64110 Jurançon