Mon repas de réveillon (sans gluten) du 31 décembre
Comme chaque année depuis 4 ans, je fête mon passage vers la nouvelle année chez Claudine à Saint-Yrieix. Je m'occupe du repas et des vins, ce qui me demande bien deux jours de travail en amont. Cela me permet d'être relativement zen au moment du repas et d'en profiter un maximum avec les convives. Cette année, j'avais un défi supplémentaire : l'un des invités étant intolérant au gluten, je ne devais pas mettre la moindre particule de blé dans les assiettes. Ça ne m'a pas posé trop de souci, vu que depuis 7 ans, je n'en cuisine jamais au quotidien. Tant qu'il n'y a pas un végan dans l'assistance, tout va bien...
Au départ, il était prévu que je fasse des cônes avec des galettes de sarrasin ... mais j'ai oublié de mettre mes cônes en métal dans tout le barda chargé dans ma voiture. J'ai donc dû improviser. J'ai fait des cercles, je les ai "peinturlurés" au beurre fondu, et les ai placés trois par trois avant de les enfourner une douzaine de minutes au four à 200 °C entre deux plaques. Une fois tièdes, j'ai placé dessus ce que j'avais prévue de mettre dans mes cônes : noisettes grillées, tofu fumé, foie gras, sarrasin japonais et "chantilly" aux morilles et cèpes.
Ils étaient servis avec un Champagne 'N Collection de Bourgeois-Diaz. (70 % Pinot noir, 30 % Pinot Meunier, base 2010, six ans sur lattes). Le nez est complexe, sur les fruits à coque, la poire séchée et des notes grillées/épicées. La bouche est ample, élégante, avec une très fine acidité qui apporte de la tension et des bulles délicates, frisotantes. En même temps, il y a race et de la vinosité, mais toute en suggestion. Cela fonctionne très bien avec les mises en bouche, même si on l'imagine encore plus avec une volaisse truffée ou des ris de veau.
J'ai "piqué" cette recette de poireau brûlé aux huîtres à Eric Fréchon. tout en apportant une petite touche personnelle. Dans ce sarcophage végétal, il y a en plus du poireau du citron confit, du citron caviar, des huîtres, du tartares d'algues, une pointe de crème fraîche pour adoucir, et en ultime déco des chips d'algues et des feuilles d'huîtres. Cette recette est absolument géniale, anoblissant avec éclat l'asperge du pauvre. Je comprends que tous ceux qui l'ont goûté au Bristol l'aient adoré. J'avais lu dans un article que l'on se surprenait à gratter la coque noircie pour en retirer le moindre petit morceau de poireau attendri par la chaleur. C'est à ce spectacle que j'ai assisté hier soir : mes cinq compagnon(nes) de table n'ont laissé dans l'assiette que la peau brûlée..
Pour l'accompagner, un Chablis Grand Cru Les Clos 2008 de Louis Michel. Je m'attendais à un vin un peu plus tendu – du fait du millésime – et concentré – au vu des diverses expériences que j'ai pu avoir avec Les Clos d'autres producteurs. En fait, le vin était très ample, aérien, avec une matière douce et caressante et une acidité arachnéenne. Un vin élégant, raffiné, qui domine plus par la classe que par la puissance. Il fonctionne bien avec le plat, sans que ce soit l'accord du siècle.
Puis suivait une ballotine de homard "chiconnée", endives caramélisée à la mandarine, clémentine snackée et kumquat. Un hommage vibrant à l'acidité, à l'amertume et au sauersüß allemand. Il appelait soit le riesling, soit le chenin. Comme il était prévu un riesling pour le dessert, allons-y pour le chenin. J'aurais pu prendre un moelleux Huet de 2008 ou 2009, mais je préfère laisser viellir quelques années ceux qui me restent. Par contre, j'ai lu sur Cellar Tracker que le Vouvray le Bouchet 2005 de François Chidaine était plutôt sur la pente descendante. Autant le boire, donc.
La robe est d'un or intense. .Le nez est riche, expressif, sur la gelée de coing, l'orangette, la truffe noire, le gingembre confit, et une petite pointe d'encaustique. La bouche est élancée, avec une tension qui repose plus sur l'armertume que l'acidité. Cette dernière est fondue dans une matière dense et mûre, moelleuse au toucher, mais également en terme de sucrosité. Les amers s'accentuent encore en finale sans être trop virulents, équilibrant avec brio les sucres résiduels. Lesnnotes truffées dominent, avec le coing en arriière-plan. Effectivement, il était temps de le boire. Il ne pouvait ensuite que décliner.. L'accord avec ce plat fut un émouvant – et jouissif – chant du cygne.
Un cuissot de chevreuil façon Wellington en basse-température
Dans les "canelloni" de céleri, le même cuissot cuit 7 heures, purée de céleri à la truffe blanche
J'en entends déjà faire remarquer que ça ne fait pas trop "sans gluten". Et pourtant si : c'est une pâte feuilletée sans gluten à base de maïs et de riz (et ma foi, très bonne). Comment peut-on faire de la basse-temp avec une pâte feuilletée autour ?
(le reste, photographié le lendemain)
Eh bien, on fait cuire dans un premier temps la viande sous-vide à basse-température (1h30 à 54 °C), puis on la repasse en moins d'une heure à 2 °C (eau froide puis 30 mn au congélateur). Puis on l'entoure d'une duxelle de champignons truffés puis de pâte feuilletée. On le garde bien au froid jusqu'au moment de le cuire. Et là, 20 mn à 180 °C. La viande contente de se réchauffer sans surcuire. Et la pâte est dorée et croustillante. Et n'est pas humidifiée par le jus de la viande !
Pour être complet, j'ai désossé entièrement le gigot. j'ai gardé les plus gros muscles pour la versionbasse temp' ( je les ai assemblés en une sorte de rôti que j'ai entouré de speck et filmé le tout bien serré). , et mis de côté les plus petits pour la cuisson "7 heures".. Ils ont cuit à 120 °C dans un bouillon préparé avec les os et les parures du chevreuil. Vous savez tout ;-)
Mon premier choix de vin était le Cornas Granit 30 2005 de Vincent Paris. Toujours d'après Cellar Tracker, il était prêt à être bu alors qu'il a été longtemps "brut de décoffrage". À l'ouverture la veille, je goûte. L'aromatique est jolie, très rhône nord, avec une touche cendrée très sympa. En bouche, c'est fondu à l'attaque, mais en finale, je trouve ça encore un peu dur. Pas totalement séduit alors. Je prends donc en bonus en cave un plan B. très différent.
Finalement, le soir du 31, la bouteille s'est montrée à la hauteur : les tanins se sont affinés. Les arômes poivrés/fumées allaint plutôt bien avec le chevreuil, et il restait toujours un beau fruit. Bon, c'était tout de même pas l'extase pour ma part, même si les invités ont apprécié.
Il se trouve que l'un des invités n'aimait pas le vin blanc. J'avais donc ouvert pour lui mon plan B : le Moulin à Vent Les vignes du Tremblay 2014 de Paul Janin . Rien qu'au nez, c'est une bombe, sur la cerise, la framboise et la mûre. En bouche, il y a une fraîcheur et une finesse de haut-vm, avec un fruit pur, que dis-je, étincelant. L'accord avec le chevreuil est magnifique. J'adore ! (je crois que je vais en racheter une caisse rapidosse...)
Oui, vous avez déjà vu cette photo : c'est mon chèvre siphonné aux poires et aux amandes grillées que je n'avais pas servi à Noël pour cause d'enfants impatients. Cette fois-ci, il a franchi la porte de la cuisine pour le plus grand plaisir des convives.
Pour l'accompagner, j'aurais adoré avoir un Poiré Granit de Bordelet, mais le caviste le plus proche de chez moi n'en avait pas. Je me suis rabattu sur ce Poiré fermier de Pacory. Bon, c'est pas mauvais : le fruit est plutôt sympa, mais ça manque de finesse, avec une bulle un peu grossière. On va dire que ça accompagnait pas trop mal le fromage, mais ça s'arrête là.
En dessert, j'avais servi un finger exotique (mangue, passion, noix de coco, citron vert, combava, ananas...). Forcément un riesling pour l'accompagner : pour la troisième fois en 10 jours, je sers un vin de Karl Erbes, mais cette fois-ci, je choisis un millésime plus ancien.
Cet Ürziger Würzgarten Riesling Auslese ** 2002 a une complexité et une puissance que ses petits frères n'avaient pas : un peu de naphte, d'abord, puis l'ananas rôti, le gingembre confit, le yuzu et la citronnelle. La bouche est bien tendue sans que l'acidité ne saille trop. Il faut dire que la matière qui l'enrobe est plus riche que d'ordinaire, avec une "moellosité" et un gras rarement rencontrés en Moselle. La finale est très ananas confit, complété par la mangue, avec de beaux amers (bigarade) qui équilibrent les sucres résiduels. Un vin superbe qui se marie magnifiquement avec le dessert. Un moment magique qui a coincidé avec les 12 coups de minuit (virtuels).
Pour ceux qui avaient encore fait, des chocolats maison croustillants (orange, noisette, cacahuète salée, céréales soufflées) avec un Maderista Dry Reserva de la Madeira Wine Company. Mais je suis le seul à en avoir bu. Les autres avaient la route à reprendre...
Le premier cadeau que l'on m'ait offert en 2019 – outre un chouette livre de cuisine, merci Claudine ! – vient de deux des invité(e)s qui m'ont dit juste avant de partir que c'était le plus beau repas de leur vie. Un compliment que je n'avais encore jamais entendu et qui vous récompense grandement des dizaines d'heures passées en cuisine