Transition vers 2018 aux fourneaux
Comme chaque année depuis mon arrivée dans le Limousin, j'ai passé le réveillon à Saint-Yrieix la Perche chez mon amie Claudine, à la fois comme cuisinier et convive. Difficile de ne pas penser à Christian qui nous a quitté en octobre dernier. Sa joie de vivre nous manquera longtemps. Mais bon, la vie continue : on ne pouvait lui rendre meilleur hommage qu'en faisant ripaille. Et puis, ça m'a permis de rencontrer un "psychiatre à la retraite" et son épouse.
Pour la quatrième fois de l'année, j'ai fait des cornets pour l'apéro – faut bien que je rentabilise mes cones en inox – avec toujours le même succès auprès des convives. J'aime l'idée – décalée – de démarrer le repas avec une mise en bouche ressemblant à un dessert. Et puis il y un côté régressif de mordre dans ces cornets en faisant bien attention que tout atterrisse bien dans votre bouche.
Cette fois-ci, il étaient à base de morilles, foie gras et noisette grillées.
Ils accompagnaient un Champagne exceptionnel : ce Mémoire signé Huré Frères comprend pas moins de 30 millésimes de 1982 à 2012. On pourrait s'attendre à un vin élolué. Eh bien, pas du tout : il est d'une grande jeunesse, avec une fraîcheur vivifiante. Par contre, cet assemblage hors-norme lui a apporte de la rondeur, de la profondeur et de la complexité aromatique. S'ajoutent une vinosité due à 90 % de raisins noirs et des bulles très fines, caressantes. Bref, il est vraiment excellent et pourrait mettre la honte à pas mal de grandes cuvées beaucoup plus onéreuses.
Nous démarrons le repas avec un saumon mariné/fumé cuit à 47 ° (mais servi frais), crumble au petit pois et wasabi, betterave jaune et citron confit...
... sur lequel je verse ensuite un velouté chaud de petits pois à l'estragon. Vous avez donc dans cette entrée du chaud, du froid, du croquant, du croustillant, du moelleux, du velouté. C'est la fête des papilles !
Pour l'accompagner, un Sancerre "Clos de Beaujeu" 2009 de Gérard Boulay. Au nez, c'est un mélange d'agrume et de caillasse chaude. La bouche est ample, élégante, d'une pureté cristalline, avec une fine (mais implacable) tension et une aromatique très minérale (jus de cailloux). La finale un peu trop chaleureuse rappelle que nous sommes sur un millésime solaire. Mais ceci dit, ce n'est pas vraiment gênant. On prend beaucoup de plaisir à le boire !
Nous continuons avec un "pot au feu de la mer". Il comprend des légumes racines (carottes de 3 couleurs, navet bout d'or, rutabaga, betterave jaune), des feuilles de choux de Bruxelles, et des "fruits de mer" : coquilles Saint-Jacques, lotte, haddock, rouget et coques Les trois premiers ont été cuits sous-vide à 47 °, le quatrième a été poêlé à l'unilatéral. Les coques ont été ouvertes classiquement puis réchauffées en douceur dans le bouillon. Ma grande découverte fut les Saint-Jacques : ça ne ressemblait à rien de connu. Leur chair était soyeuse, fondante, d'une grande délicatesse, rappelant certains beignets vapeur japonais. Ca donne envie d'étudier plus avant la question et de tester des températures proches (45 et 46°) pour voir où se situe la bascule entre le cru et le cuit. Là, on était sur une cuisson à point (plus, ce serait trop, je pense).
Après avoir pas mal tatonné pour choisir le vin "haddock" , j'ai opté finalement pour un Côtes du Jura blanc tradition 2006 du Château d'Arlay. Son élevage de 4 ans en foudres puis de 7 ans en bouteille lui ont apporté une aromatique "patinée" qui colle bien très bien avec le plat légèrement fumé. Il a de la rondeur sans tomber dans le gras, et surtout de la fraîcheur et de la finesse. Très beau mariage !
Nous poursuivons avec des pavés de chevreuil (sauvage) cuit à la minute et des panais (de mon jardin) rôtis (pas eu trop le temps de suivre leur cuisson, d'où cette apparence pas glop, mais ils étaient très bons, moelleux et légèrement sucrés. La sauce est à peu près la même que celle qui a "tué" un vin de la Romanée-Conti à mon repas d'anniversaire belge. Je n'ai pas fait la même erreur : j'ai mis au placard mes grands Bourgognes (c'est vite fait) et sorti un vin autrichien (après avoir ouvert pour rien une Chapelle 2008 de Thivin (trop austère) et un Cornas "les Chailles" 2009 de Voge (trop mûr, trop lourd).
Ce Saint-Laurent 2015 de Meinklang testé il y a un bon mois avec des amis dégustateurs a assuré un max : très beau fruit, finesse, tension ... pureté, oserai-je même dire. Et non seulement il a résisté à la sauce, mais l'accord avec l'ensemble du plat était vraiment top. Comme quoi, il n'y a pas forcément besoin de payer une fortune pour se régaler. Je précise que je l'ai d'abord servi sans dire ce que c'était. J'ai attendu les retours positifs pour lâcher : "c'est un vin autrichien" à des convives stupéfaits.
J'ai récidivé avec mon boeuf fumé ( rumsteak) au cèdre japonais, si ce n'est que cette fois-ci j'ai fait une maturation de 15 jours au (d'abord fumage, puis léger saupoudrage de sel et léger séchage "à nu" de deux jours, suivi de 13 jours emballé dans de l'essuie-tout pour qu'il puisse maturer sans trop sécher (tout en respirant). Pour le repas, je l'ai fait monter à 54 °C avant de le couper en fines tranches. La sauce est très proche de celle qui fit de l'ombre au Petrus à mon anniversaire belge, avec toutefois un cassis légèrement plus discret. Les pommes de terres ont été cuites au four (nappées de beurre clarifié)
Pontet-Canet 2001 a très bien fait son boulot : très cassis/cigare/graphite au nez. Une bouche élancée, élégante, avec une matière veloutée, encore presque trop jeune (plus sur le fruit que le tertiaire). La finale était d'une grande fraîcheur, très marquée par le cassis. L'accord fonctionnait très bien.
Le fromage a été remplacé par une "crème brulée" au comté et aux morilles recouverte d'un crunchy aux noix, pignons et pistaches parfumés au curry.
L'idée était bien sûr d'accompagner un vin jaune. Cette fois-ci, c'était un Arbois 1983 d'Henri Maire. Son nez était dominé par des notes de pain de campagne sortant du four, de croûte de comté, d'épices douces. La bouche était toute en rondeur, tendue par une fine acidité traçante. L'accord fonctionnait bien, même si une simple tranche de comté eût probablement encore été mieux adaptée (less is more...).
Voilà ce que c'est d'être au fourneau et à table. La glace commence à fondre avant que je prenne la photo (légèrement floue). Nous avons ici une variation autour du sarrasin : glace au sarrasin, muesli au sarrasin, cercle au sarrasin... Par contre, j'ai aussi ajouté du café dans le chantilly et le caramel qui nappe le dessert. Il y a aussi des noisettes et du kasha caramélisés.
En accord, difficile de trouver mieux qu'un Madère. J'ai choisi cet Alvada 5 years de Blandy's déjà testé avec succès à plusieurs reprises : un nez très café et praliné (mais crème de cassis, aussi, d'après mes invités). Une bouche élégante, très fraîche grâce à une acidité vivifiante (qui manque à nos Rivesaltes ambrés). C'est un hymne au café, au toffee et à la figue séchée, qui s'avère d'une grande digestibilité. Il y en avait bien besoin :-)
BONNE ANNÉE 2018 À TOUS !