Mémorable visite chez Krug
Peu de particuliers ont la chance de pouvoir visiter la Maison Krug, certainement la plus prestigieuse de Champagne. Ludovic, mon frère belge, a réussi à les convaincre d'accueillir 5 compatriotes belges et votre serviteur. Parti très tôt le matin en train, je les retrouve devant le bâtiment situé au centre de Reims.
Bon, en fait, pour les visites, c'est 100 m plus bas, au coin de la rue Coquebert. Un coup de sonnette, et nous voilà accueillis par une jeune équipe digne d'un hôtel de luxe qui nous emmène dans un salon où nous allons faire connaissance avec Camille, notre hôtesse du jour. Je rectifie : son poste chez Krug, est créatrice d'inoubliable. Et ma foi, c'est parfaitement trouvé. Nous avons vécu deux heures de grâce en sa compagnie.
Après avoir bu verre d'eau pour nous désaltérer, nous découvrons la toute dernière des Grandes Cuvées : la 171ème édition (base 2015, dégorgée en 2022). C'est déjà parfaitement en place, d'une complexité déjà hors-norme, avec des bulles ultra-fines, ainsi qu'une tension et une fraîcheur délicatement citronnées. Ce qui explique certainement pourquoi le citron est le nouveau thème imposé aux chefs amateur de Krug.
Pendant trente minutes, nous allons échanger avec Camille sur notre passion partagée de Krug, les cuvées qui nous ont le plus marquées. Notre créatrice d'inoubliable ne se contente pas d'interroger et d'écouter. Elle commence à nous parler de la philosophie de la Maison, de ses rapports avec les vignerons qui lui vend leur récolte, de la traçabilité de chaque apport. On apprend que chaque lot est vinfié séparément en fûts (âgés de plus de 4 ans), puis placé dans une cuve en inox correspondant à son volume. Il y restera jusqu'au moment où l'on aura besoin de lui. Cela peut-être relativement rapide s'il rentre dans une cuvée millésimée, mais il peut patienter jusqu'à 15 ans s'il fait partie des vins de réserve de la Grande Cuvée.
Chaque année, dans les semaines qui précèdent les assemblages, l'équipe technique goûte 400 vins en une dizaine de séances (250 vins de l'année et 150 vins de réserve d'au moins 10 ans) afin de les évaluer et de déterminer leur devenir.
Les vins déjà sur lattes passent aussi au banc d'essai, y compris les plus prestigieux. Ainsi, si un Clos d'Ambonnay n'est pas jugé suffisamment qualitatif pour être commercialisé, toutes les bouteilles seront ouvertes et assemblées avec le Krug millésimé (s'il existe dans l'année correspondante) ou à la Grande Cuvée.
Depuis l'année dernière, la nouvelle chef de caves, Julie Cavil, a mis en place une journée où les apporteurs sont invités à Reims pour déguster les vins clairs (jeunes et anciens) issus de leurs parcelles. Une expérience probablement unique en son genre qui renforce les liens entre les vignerons et Krug, et ne peut que les inciter à produire les meilleurs raisins possibles.
Assez discuté : nous descendons au 1er sous-sol
Nous arrivons dans un long couloir rempli de bouteilles en cours d'élevage. Au premier plan, des magnums de Grande Cuvée déjà dégorgés et bouchés. Il ne leur reste qu'à prendre une bonne toilette et à être étiquetés.
Vues de plus près
Nous descendons au deuxième sous-sol...
D'autres box plein de bouteilles.
Un peu plus loin, les cuves inox qui accueillent les vins de réserve. Afin d'optimiser l'espace et de s'adapter au volume de chaque lot, certaines sont superposées.
Même si la majorité des bouteilles sont remuées à l'aide de "gyropalettes", 20 % passent sur pupitre. Raphaël Joyon, le remueur maison, peut tourner 36.000 bouteilles par jour (ce qui fait 6 bouteilles en 3 secondes).
Lorsque OIivier Krug a pris la tête,de la maison, il n'y avait plus d'oenothèque permettant de découvrir des vieux millésimes. Il en a donc racheté au fil des ans afin que la génération suivante n'ait pas la même déconvenue.
Nous finissons la visite dans le salon des 400 où ont lieu les dégustations de l'équipe technique. Mais aussi celles des Krug lovers. Le mur des 400 bouteilles symbolise les différents lots provenant de toute la Champagne qui contribueront à donner naissance aux différents cuvées.
Nous nous retrouvons dans la position d'un oenologue de chez Krug... sauf que nous n'avons que deux vins à déguster (on devrait en venir à bout !).
À gauche, Krug 2008, à droite la Grande Cuvée 164ème édition ... construite autour du millésime 2008. Et c'est vrai qu'on leut trouve des points communs, à ces deux-là, même si elles s'avèrent tout de même très différents. Voyons de plus près...
Krug 2008 : la robe est d'un or intense, avec des fines bulles assez rares. Le nez est expressif et complexe, sur la brioche toastée, les fruits secs grillés et les agrumes confits. La bouche est incisive, éclatante, tendue par une acidité laser, tout en offrant une matière dense, vineuse, au toucher moelleux, presque onctueux, d'une puissance aromatique impressionnante. Des bulles ultra-fines, crépitantes, viennent en contrepoint apporter de la légèreté et de la finesse. La finale, dans un premier temps très court, semble concentrer cette bouche énorme en un point minuscule, avant de déclencher un big-bang gustatif qui vous en met plein les papilles, allliant à un feu d'artifices aromatique une fraîcheur éclatante et une amertume d'anthologie sur l'écorce d'agrumes. Vous n'en sortez pas complètement indemne...
Grande Cuvée 164ème édition : la robe est très proche. Par contre, le nez est plus discret, plus profond, plus aérien aussi, avec une foultitude d'arômes, amande grillée en tête (turon), suivie par le pralin, l'orangette, la brioche chaude et le citron confit. Et puis pas mal d'épices. La bouche est très ample, enveloppante, avec une matière mûre, moelleuse, sensuelle, tonifiée par des bulles fines au toucher crémeux, et surtout tendue / étirée par une acidité traçante. La finale est très fraîche, intense, d'une grande complexité aromatique, avec cette fois la brioche chaude qui domine, complétée par les fruits secs et les agrumes confits (mais aussi une touche de citron frais).
Pendant cette dégustation, Camille nous fait écouter des environnement sonores composés par des chercheurs de l'Ircam en collaboration avec Eric Lebel, ancien chef de cave de Krug. Ils tentent de retranscrire les sensations éprouvées lorsqu'on déguste un pinot noir d'Ambonnay ou un Chardonnay de Aÿ. Il faut avouer que c'est très "parlant", particulièrement le pinot noir : ça m'a rappelé ma dégustation du Clos d'Ambonnay en 2017.
Cette mise en bouche, très marquée par les amers du citron, se marie parfaitement avec les deux champagnes. Il est à noter que nous avons été resservis généreusement, car nos verres étaient vides lorsqu'elle nous a été servie
Merci à Camille pour ces deux heures d'échanges, de découverte et de plaisir. Elle a réussi sa mission : nous avons vécu un moment inoubliable !