Révolution permanente à Pontet-Canet
Je n'étais pas venu à Pontet-Canet depuis l'année dernière. Pour de nombreux domaines viticoles, les changements n'auraient pas été très notables. Mais dans ce cru classé de Pauillac, la révolution est permanente depuis plus de vingt ans. Et ma visite du jour me confirme que c'est loin d'être fini.
Voici en gros les principales étapes :
1998 : premières vendanges en cagettes à une époque
où personne n'en faisait dans le Médoc (ça faisait marrer les autres propriétaires...)
2003 : premiers essais en biodynamie. Puis conversion officielle à partir de 2004.
2004 : mise en place du cuvier béton (32 cuves tronconiques de 80 hl) à remplissage gravitaire
2005 : tests de non-rognage des vignes (généralisé en 2009)
2008 : quatre chevaux remplacent intégralement les enjambeurs sur 20 ha du domaine
2012 : élevage d'un tiers de la production en dolias de 9 hl
2017 : nouveau cuvier avec 32 cuves de 40 hl (nous y reviendrons tout à l'heure
Je profite de la vue de la tour qui domine le vignoble, désormais accessible par un escalier extérieur.
Divine devise...
Une vue plongeante sur la Gironde
Jean-Michel Comme m'emmène voir le travail de deux vigneronnes : elles sont en train de greffer deux segments de bois de vigne française (sélection massale "maison" ) sur un vieux pied de vigne "américaine". Et c'est une greffe en fente et non en "omega", source de nombreuses maladies du bois. L'intérêt est de conserver tout le système racinaire qui s'est developpé durant plusieurs décennies. Car ce n'est jamais celui-ci qui est touché par l'Esca ou l'excoriose. Tous les pieds malades sont ainsi traités. Cela permet de repousser le plus loin possible l'arrachage d'une parcelle (qui vous obligerait de repartir à zéro).
Et voilà le résultat (à noter que c'est de l'osier de Pontet-Canet qui est utilisé pour serrer la greffe)
Le pied est ensuite recouvert d'un mélange de tourbe et de sable qui permet de maintenir de l'humidité.
Le manchon protège des prédateurs.
Et quelques jours plus tard...
Nous sommes au dessus du nouveau cuvier qui marque une nouvelle étape dans l'approche des vinifications à Pontet-Canet. L'électricité ne sert qu'à l'éclairage (par LED 12 V et cables blindés). De chaque côté de la table le tri, une caisse est vidée Les grappes sont étalées et contrôlées par deux employé.e.s puis tombent sur le poste central où elles sont éraflées manuellement à l'aide d'une grille en métal. Les baies tombent ensuite par gravité dans la cuve sans passer par l'étape "fouloir". Cela peut paraître fastidieux. En fait, deux de ces tables ont suffi pour traiter la moitié des vendanges de Pontet-Canet.
Il ne sera pas fait usage de pompe durant toute la fermentation. Juste un pigeage manuel léger, histoire que le marc reste bien humecté. La forme d'amphore évite tout angle mort (alors que c'est souvent un souci dans les cuves tronconiques) .
Toute modernité n'est pas exclue : la cuve est thermorégulée par un drapeau où circule de l'eau chaude ou froide selon les besoins. L'occasion de signaler que tout le domaine est désormais chauffé (ou climatisé) grâce à la géothermie. Je n'ai pas pris de photo de l'installation qui occupe deux grandes pièces, mais c'est des plus impressionnants !
Nous dégustons un échantillon de Pontet-Canet 2017. La bonne qualité sanitaire des raisins a permis de patienter et de vendanger plus tard que les prestigieux voisins. Le nez évoque les fruits noirs bien mûrs, complétés par des notes épicées/grillées. La bouche est ample, caressante, avec une matière d'un délicat velours sensuel, rappelant plus un grand Pomerol qu'un Médoc. Seule la fine (et fraîche) tension qui ne vous lâche pas jusqu'au bout d'une longue finale mentholée vous rappelle que vous êtes en rive gauche.
Après un repas au Café Lavinal, nous allons voir les chevaux qui se reposent au paddock. Celui-ci arrive tout récemment de Normandie, du Centre de valorisation du cheval Percheron. C'est une bête magnifique qui dépasse ses compagnons d'une bonne tête (en hauteur).
L'un des chevaux m'a pris en affection : durant les 10 minutes de notre visite, il me suit partout, collant sa tête à la mienne. Jean-Michel voulant garder un souvenir de cette idylle m'a emprunté mon appareil pour immortaliser la rencontre ;-)
Pendant ce temps-là, il y en a quatre autres qui s'apprêtent à travailler. C'est un traitement à base de cuivre et de soufre pulvérisé à titre préventif : le week-end qui arrive va être humide... Trois des quatre équipages sont menés par des femmes.
Et voilà la future écurie qui devrait être opérationnelle d'ici l'été. Au début, il était prévu de faire des box. Et puis, Jean-Michel observant ses chevaux depuis dix ans s'est réndu compte qu'ils avaient une vie sociale qu'il serait dommage de mettre à mal en les isolant les uns les autres. Non seulement, ils pourront circuler dans cet espace comme ils l'entendront, mais ils pourront aussi sortir dehors dans un enclos. Le sol sera recouvert de terre et de graves du domaine afin qu'il n'y ait pas de rupture en intérieur et extérieur.
Le domaine fait germer des graines d'orges pour compléter leur alimentation. Elles sont beaucoup plus riches en vitamines et oligo-éléments. Depuis que les chevaux ont adopté ce "régime", ils n'ont plus besoin de vermifuges ni d'autres traitements vétérinaires.
La chaleur produite par les chevaux sera récupérée pour chauffer les logements situés juste au-dessus (reprenant le principe des bâtiments d'autrefois où les fermiers dormaient au-dessus de leurs bêtes).
Juste à côté, il y aura une pièce consacrée aux préparations biodynamiques. L'eau sera dynamisée par des vasques vives sculptées par les tailleur de pierre du domaine, et pourra être chauffée à 37 °C avant d'être pulvérisée. Mais on en reparlera lorsque j'y retournerai la prochaine fois ;-)