Restaurant le Bec au Cauchois : une étoile méritée
Je n'en avais parlé pour l'instant qu'aux personnes abonnées à ma newsletter : je quitte d'ici peu la Normandie pour une contrée plus méridionale. Avant cela, je tenais à manger dans le meilleur restaurant du secteur : le Bec au Cauchois. Celui-ci a connu une année faste puisque son chef Pierre Caillet a été consacré Meilleur Ouvrier de France en automne dernier, et que le guide Michelin 2012 lui a octroyé sa première étoile.
J'avais de surcroît des relations professionnelles avec ce restaurant puisque Ludivigne fournit la majeure partie des vins proposés au restaurant. Bref, plein de raisons pour faire le déplacement.
Moyennant un supplément de 10 € (que j'ai un peu de mal à comprendre puisque le service est simplifié), il y a la possibilité de manger en cuisine. Je l'ai tout de même pris car cela m'intéressait de voir la brigade en action ( et de voir les tours de main du MOF). J'ai choisi le menu Tentation qui comprend 8 plats. Cela me permettait d'avoir un panorama de la cuisine de Pierre Caillet.
On démarre avec trois mises en bouche que l'on peut considérer comme des hommages à la production locale. Le mini-éclair contient du camembert (nous sommes en Normandie). Puis une simple mais délicieuse tranchette de Saucisson du Marin, fabriqué à quelques kilomètres du restaurant.
Et enfin un "coussinet" à la truite (il y a un élevage à deux pas). C'est cette dernière mise en bouche qui m'impressionne le plus car elle montre une belle maîtrise des températures : l'extérieur est tiède et très croustillant alors que la farce est fraîche (mais pas glaciale).
Pour les accompagner, j'ai commandé un verre de champagne Jacquesson cuvée 735. Comme je n'avais pas eu encore l'occasion de goûter ce vin référencé à la boutique depuis décembre dernier, ça tombe plutôt bien. On peut dire qu'il a un caractère affirmé – certains pourraient presque le trouver sévère – mais la matière est dense et bien droite. Je l'imagine bien avec la chair ferme d'un homard ou d'une poularde.
Cette verrine contient un fromage frais et du cresson (local !) recouvert d'une écume à l'oseille sauvage (si je me souviens bien...). Bon, frais, bien équilibré. Rien à redire.
Et voici le premier des huit plats : une pressée de foie gras, lotte fumée et céleris branche. Le mot céleri est à la forme plurielle car il y a toute une déclinaison autour de cette ombellifère : cru, confit, en gelée... Normalement, j'en suis pas fan, mais ça passe ici plutôt bien. L'interêt du plat est de toute façon ailleurs : c'est l'alliance entre la chair ferme et fumée de la lotte et le moelleux/soyeux du foie gras. Vraiment très réussie ! Ca me rappelle le mariage anguille/foie gras découvert chez Thierry Marx.
Nous continuons avec un crémeux de pois frais au Neufchâtel, glace au (boeuf) séché des Roches Blanches et soupe de cosses. Le plat n'est rien que moins que superbe. Là, on sent vraiment la patte du MOF ! La soupe de cosses est servie à part à discrétion du client. Que ce soit au niveau du contraste des matières (croquant/moelleux) que des températures (chaud/froid), c'est vraiment top. Du bel ouvrage ! A souligner particulièrement la glace au boeuf séché, très intense au goût et parfaitement équilibrée.
Une autre photo : on ne s'en lasse pas !
Arrive un ragoût de petits légumes au homard, mousse de lait au jambon Serrano et langues d'oursin. La mousse a tendance a s'effondrer un peu car elle ne contient pas de crème ou de gélifiant. Celui lui donne beaucoup de légèreté. En dessous, un médaillon de homard que j'ai mangé avant de prendre la seconde photo. Et une délicieuse brunoise de légumes (on y a aperçoit aussi les oeufs du homard) d'une rare intensité gustative : une semaine après, rien qu'en regardant la photo, je l'ai encore en bouche comme si je venais de la manger !
J'ai bu avec ce plat un très bon Viré-Clessé servi au verre (pas pris les références : il ne vient pas de chez nous, grrrrr). Il accompagnera aussi le plat que le chef est en train de préparer devant moi.
Ca a l'air bon...
Et voilà un filet de daurade juste cuit, mousseline au corail de Saint-Jacques, Chou Pac Choy et pickles de mangue au balsamique blanc. "Juste cuit", c'est vraiment le bon terme à employer pour ce filet de daurade. Parce que la cuisson est effectivement d'une grande justesse. Et puis parce qu'elle est vraiment borderline : moins cuit, ce ne serait pas assez cuit. Pour info, le filet a cuit sous-vide 15 mn à 50°. L'accompagnement du poisson n'est pas là que pour la déco. La mousseline de corail me donne une très bonne idée de l'utilisation des coraux de Saint-Jacques. L'idée des "pickles" de mangue est excellente. Le Pac Choy est aussi intéressant mi-cuit qu'en purée. Et enfin, la ficoïde glaciale apporte une touche de croquant et de fraîcheur bien sympathique.
Cette pièce de boeuf Hereford Irish Prime, polenta au Mossfield et crémeux de céleri truffé, le chef m'en avait déjà parlé, car elle avait été servie pour le réveillon du 31 décembre. J'avais été chargé de trouver LE vin qui l'accompagne au mieux. Eh bien, c'est vraiment bon, avec une cuisson évidemment parfaite. Le Mossfield (un gouda aussi irlandais que la viande) donne du peps à la paella. La sauce est intensément bonne. Et le crémeux de céleri truffé irréprochable. Encore un joli plat !
Je l'ai accompagné d'un verre de Rasteau Prestige 2007 de Didier Charavin. Ce vin opulent, corsé, aux tannins veloutés, convient très bien au plat.
Le jeune serveur me prépare le "fromage"
C'est en fait une très longue lanière de pomme roulée sur elle-même jusqu'à former une sorte de palet, cuite à la poêle avec un quartier de camembert et déglacée au calvados (je ne me souviens plus de l'herbe qui parfume le plat). J'ai mangé ce plat avec un cidre brut : c'était impec !
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Nous arrivons aux desserts : d'abord Pourcem (cédrat) et chocolat comme un Cheescake, crème glacée au cacao. Ce qui m'a marqué le plus, c'est la crème glacée au cacao, carrément divine, intensément cacaotée sans être trop amère, et surtout une texture incroyable (merci le Pacojet !). J'aime aussi beaucoup la base croustillante du cheesecake.
Puis un deuxième dessert, appelé sobrement La Fraise. Là aussi, c'est le sorbet qui m'a le plus épaté. Un goût de fraise qui vous envahit tout le palais. Le reste est bon, mais moins mémorable (saturerai-je ?).
Je n'ai pas pris de vin pour le dessert...
Allez, un petit café pour finir, évidemment accompagné de mignardises :
Une truffe, un mendiant et une sorte de financier (de mémoire)
Conclusion : je suis vraiment heureux qu'il y ait à quelques kilomètres de Fécamp un restaurant d'un tel niveau, car c'est un peu la misère, dans le coin... Du début à la fin, on sent une maîtrise totale du sujet, encore plus impressionnante lorsqu'on regarde le chef en action. Tout se fait totalement en silence, entre concentration et zénitude. Jamais la moindre hésitation ou de début d'affolement. Là dessus, j'ai encore beaucoup de chemin à faire...
La plupart des plats m'ont beaucoup plu : leur présentation est parfaite, tout comme les cuissons et les petits "niaks" qui vont avec (comme toutes les jeunes pousses, jamais gadget). Reste tout de même un petit sentiment de frustration : à aucun moment, je n'ai eu cette sensation de vertige que j'éprouvais lors de mes premières visites de restau étoilé. Jamais je n'ai eu l'impression de perdre pied, de changer de paradigme culinaire. Ceci dit, j'ai eu un peu le même "souci" chez Régis Marcon ou lors de ma deuxième visite chez Michel Bras. (alors que la première fut hénaurme – mais j'étais alors un piètre cuisinier). Bref, Pierre Caillet manque un peu de folie à mon goût, mais je ne vais le lui reprocher : le Cauchois aime la cuisine très classique. Ferran Adria aurait tenu ici à peine un mois avant de fermer la porte ;o)
Tout compris, le repas m'a coûté un peu plus de 100 €. Je ne les regrette pas, car j'ai passé trois heures captivantes dans cette cuisine à observer les cuisiniers tout en me régalant. Y a pire comme programme !
Le Bec au Cauchois, 22 rue André Fiquet, 76540 Valmont Tél. 02 35 29 77 56 - lebecaucauchois@orange.fr