Journée de rêve en Sancerrois
Lundi dernier, j'ai été invité par l'un de mes cavistes à participer à une journée de découverte du Domaine Alphonse Mellot. J'avais eu l'occasion de boire quelques uns de ses sancerres blancs, et je les avais apprécié. Il me paraissait intéressant d'en savoir un peu plus sur ce domaine...
Au bout de trois heures de route, nous arrivons à Sancerre. De loin, ce village qui domine les vignobles vallonés est impressionnant. Quand on se rapproche et rentrons dans le village, on est un peu déçu: les maisons ne sont pas vraiment belles, beaucoup sont grises, tristes. Le village aurait besoin d'une sacrée rénovation! Comme je le fais remarquer à mes compagnons de voyage, le village est tout de même beaucoup plus beau que Pomerol, ce qui n'est guère difficile: si le nom fait rêver, le village pourrait remporter la coupe du village le plus triste de France...
Nous sommes 8 personnes venus d'un peu partout: Poitiers, Blois, Paris, et Evreux et sa région. La famille Mellot vient nous accueillir: Alphonse "père", Alphonse "junior" et Emmanuelle (la fille du premier et la soeur du second ;-)). Après 5 minutes de discussions, Alphonse "père" prend la direction des opérations et nous emmène à la cave pour la dégustation des 2005.
Je devrais plutôt dire "les" caves, car nous rentrons dans un véritable dédale sur plusieurs étages avec des tunnels, des marches, etc. Rien n'a été creusé: en fait, la cave utilise la déclivité de la colline. Avant de démarrer la dégustation, Alphonse "père" nous fait une présentation du domaine. Celui-ci appartient à la même famille depuis le XVIème siècle. Il fait 45ha et compte 40 employés. On peut comparer ces chiffres avec ceux d'un grand chateau bordelais. Ils peuvent s'expliquer par une culture bio depuis 10 ans et en essai bio-dynamique depuis deux ans. Ils n'avaient pas envisagé d'officialiser leur passage en bio, mais un certain nombre de malveillances d'autrui va les obliger à le faire pour éviter les ennuis... Les rendements du domaine se situent entre 20 et 35hl/ha , ce qui est beaucoup plus bas que le maximum autorisé (65hl/ha). A souligner qu'ils ont certainement la densité de pieds par ha la plus forte de la région: entre 8 et 12.000 pieds/ha, et quelques parcelles à 20.000 pieds/ha!
Nous commençons par déguster les rouges, ce qui se fait assez souvent en val de Loire.
Nous dégustons d'abord les vins qui vont composer la Moussière classique 2005. Dès les premiers échantillons, l'on sent que 2005 sera un superbe millésime: équilibre, profondeur, belle qualité de fruit. Nous prenons une belle leçon de géologie. En fonction des terroirs et des expositions, les vins se font plus sensuels ou plus minéraux. Certains font penser immédiatement à la Bourgogne, d'autres nous emmène dans des contrées inconnues. Je n'ai jamais bu des pinots noirs qui ressemblait à ça! Les différences ne sont en tout cas pas dues aux barriques puisqu'elles proviennent toutes du même producteur (Berthomieu pour ne pas le citer ;-))
Nous montons en gamme et goûtons aux barriques qui composeront "en grands champs" et "la demoiselle". En grands champs provient d'une parcelle calcaire perchée en haut de la Moussière, et fait un vin d'une grande densité, aux tannins serrés. La matière en bouche est superbe! A faire pâlir beaucoup de confrères bourguignons... La Demoiselle vient d'un terroir d'argile à silex et donne un vin plus sensuel, avec des notes de fumée et de poivre. Très très beau!
Nous goûtons enfin la cuvée Génération XIX (car Alphonse "junior" représente la XIXème génération de Mellot). Elle provient d'une seule parcelle de vieilles vignes (1ha, sol de marnes / sous sol kimmeridgien): pour l'heure, elle se goûtait moyennement, car elle était en pleine "prise de bois" et la malo n'était pas finie. Néanmoins, on sentait qu'il y avait une très belle matière et que ça ferait un très bon vin.
A gauche Alphonse Senior, au centre Alphonse Junior
Pour goûter les blancs 2005, nous devons descendre un peu plus bas. Après moultes marches et tunnels, nous atterrissons dans une grande pièce composée de cuves et de barriques. C'est la photo qui se trouve à la gauche du texte... Nous continuons un peu plus loin et arrivons dans le chai de vinification. On peut y découvrir trois gros pressoirs pneumatiques (à droite), une grande table de tri, un tapis mécanique pour amener le raisin égrappé dans les cuves en bois. Cela évite le "massacre" de la pompe. Les cuves destinées aux rouges sont tronconiques (ci dessous).
Mais allons goûter les Blancs... Pour commencer, Alphonse Junior nous propose de goûter deux assemblages de la Moussière 2005. Le premier est explosif: le sauvignon dans toute son exubérance avec des arômes de fruits exotiques, de fleurs blanche et de pomelos. En bouche, c'est gourmand au possible, sensuel, un régal! Quelqu'un parle du plaisir qu'il aurait à le boire sous une tonnelle. C'est tout à fait ça, même s'il pourrait certainement faire un bon vin de gastronomie! Le deuxième est plus classique, mais donne l'impression d'une plus grande densité. On a la sensation d'une acidité profondément minérale qui vous pénètre. C'est un vin beaucoup sérieux qui se révélera dans le temps. Il n'y a évidemment pas à choisir, puisque ces deux vins ne feront partie que d'un seul, qui devrait se révéler d'une grande complexité...
Nous avons ensuite goûté des barriques "borderline". Pour l'instant, nos Alphonses ne savent pas vraiment si elle feront partie de la Moussière ou de la cuvée Edmond. Je les ai trouvé en tout cas très bonnes. La concentration et la puissance du vin font totalement oublier la barrique.
Nous prenons un nouveau tunnel, et nous arrivons dans la cave réservée aux deux grandes cuvées: Edmond et Génération XIX. Nous commençons par quelques barriques d'Edmond, et je comprend le mieux pourquoi ils hésitaient sur la destination de celles qu'on a goûté précédemment. Là, c'est d'une évidence totale: c'est GRAND! Puissance aromatique, gras, acidité tranchante, et très grande persistance aromatique. Très beau...
Nous finissons la dégustation avec Génération XIX élevé dans des petites cuves en bois tronconniques de 900 litres (afin que le bois ne marque pas trop le vin). Issu de vignes de 87 ans, les racines ont plongé profondément dans le sous-sol du Kimmeridgien. Ce vin a une pureté cristalline, une fraîcheur, et une matière impressionnante. En fin de bouche, vous avez l'impression de croquer dans du calcaire. Je retrouve les sensations éprouvées lors d'une dégustation de Corton-Charlemagne de Bonneau du Martray...
Nous retournons dans la salle de dégustation pour goûter les vins "finis". Nous commençons par l'Edmond 2004. Celui-ci est encore en cuve pour l'instant - pour un an encore - et ne sera mis en bouteilles que lorqu'il aura trouvé son équilibre. L'année 2004 n'est pas censée être terrible dans le Sancerrois: vigne un peu trop généreuse, pluies à la récolte... Ici, ça ne sent pas: équilibre, fraîcheur, puissance aromatique. Très beau.
Puis l'on passe en 2003. L'année de la canicule, pas vraiment idéal pour faire des grands blancs sec. Ici, certainement grâce au travail du sol et au profond enracinement, les vignes n'ont pas souffert et ont permis de produire un vin d'un grand équilibre, même si les arômes sont un peu plus "mûrs" que d'habitude.
Et puis il y a 2002... Pour le coup, un très grand millésime dans la région. Je ne sais pas si l'on peut dire que le millésime transcende le cépage, mais l'Edmond 2002 me fait penser aux grands chenins de la même année. En tout cas, on y retrouve cette grande harmonie, cette évidence, l'équilibre parfait.
Je crois bien que l'on a ensuite goûté un autre millésime (2000?1997?), mais je n'en suis plus vraiment sûr (je n'ai pas pris de notes...). J'éviterai donc d'en parler ;-)
L'avion, symbole de Vie entre Eros et Thanatos
Madame Mellot (mère) nous attend à la maison pour poursuivre la découverte du domaine autour d'un repas. Nous prenons d'abord l'apéritif dans le salon. Du Ricard? Pensez-vous... Du sancerre, bien sûr! De l'Edmond 96, pour être précis... Et là, je suis bluffé! Ca vieillit comme ça, le Sancerre? A l'aveugle, je serais parti sur un vieux riesling qui "pétrole". Une petite différence tout de même: des notes puissantes de truffes blanches. En bouche, c'est somptueux, magique, et d'une persistance qui frôle l'infini: trois jours plus tard, je le ressens encore, c'est dire ;-).
"A table!". L'ordre ne se discute pas, d'autant qu'il se fait faim: il doit être 2 heures de l'après-midi! Nous entrons dans une superbe salle à manger. En bonne maîtresse de maison, Madame Mellot nous dispose autour de la table. Lorsque tout le monde est assis, le premier plat est servi: des noix de Saint-Jacques poêlées accimpagnées d'une julienne de légumes (principalement poireau). Les noix de Saint-Jacques sont d'une excellente qualité et cuites à la perfection. Pour accompagner ce plat, une cuvée Edmond 2002. Je n'aurais pas pensé servir un Sancerre avec des Saint-jacques (trop "sec"), mais la matière du vin, la perfection de ce millésime fait que l'accord fonctionne totalement, et nous nous régalons.
Vient ensuite une côte de boeuf (plusieurs en fait), accompagnée de pommes de terres rôties et d'haricots verts. Les pommes de terres sont aussi fondantes que l'est le boeuf. C'est très bon! Pour accompagner ce plat, arrivent les 3 grandes cuvées de rouge en 2004: la Demoiselle, en grands champs et Génération XIX. Nous commençons par la demoiselle: au nez, on dirait un vin issu de schistes, avec un côté fumé, pierreux et une acidité assez marquée. En bouche, on est plus dans la longueur que dans la largeur. C'est un vin fin, soyeux, mais d'une grande puissance aromatique. En grands champs est moins typé, mais pourvu d'une matière plus puissante. Il gagne en largeur, tout en ne perdant rien sur la longueur. Les tannins sont déjà très bien polis, l'élevage totalement intégré. Beau vin qui ne pourra que s'améliorer dans les années qui suivent. Autant dire que le débat était grand pour savoir lequel de ces deux vins était le meilleur. Le troisième vin allait nous sortir de ce délicat problème: c'était lui, Génération XIX. Il a tout: puissance, sensualité, complexité... Il ferait un malheur en pirate dans une dégustation bourguignonne... Et pourtant, 2004 est une année "difficile"... Je goûterais bien les 2003, moi...
Le repas s'est conclu sur des très bons soufflés. Avant de partir dans les vignes, nous avons fait un petit tour sur la terrasse. Le point de vue est impressionnant!
Je suis monté à bord du très joli 4/4 au côté de "sénior" et nous avons roulé quelques kilomètres pour voir l'essentiel du domaine. Nous ne sommes pas restés très longtemps, car il commençait à faire nuit, comme ce cliché le démontre...
Nous sommes retournés au chai où nous avons bu deux raretés: les deux vins étaient de type oxydatif. L'un en vendange tardive de 1997, l'autre, je ne sais plus... Je me souviens qu'ils étaient très bons et n'avaient rien à envier à leurs cousins jurassiens (je les ai même préférés à beaucoup).
Il ne restait plus qu'à partir (300kms à faire), non sans être repartis avec deux cadeaux de la maison: un original de la gravure qui apparait sur leurs bouteilles et une bouteille d'Edmond 2001. on peut dire que les Mellot ont le sens de l'hospitalité :-)
Je remercie mon caviste de m'avoir permis de participer à cette aventure. On recommence quand il veut!!