Pour fêter notre anniversaire commun, il y eut donc le repas du 5 août dont je vous détaille les recettes depuis 15 jours, puis le 8 août à Namur (repas très moyen mais ambiance excellente). Le 9 août, nous nous sommes réunis chez Sophie et Nicolas avec un groupe de dégustateurs que je commence à bien connaître. Ludo a eu une excellente idée : le restaurant nous fournissant le menu à l'avance, lui et moi devions amener une bouteille qui semblait correspondre le mieux à chacun des plats. J'ai tout de suite répondu OK sur principe. 

Quand Ludo m'a envoyé le menu, j'avoue avoir été un peu déstabilisé : il y avait dans chaque plat de nombreux éléments, dont pas mal rendaient difficile les accords.  J'ai fait une croix sur les bouteilles de ma cave personnelle car elle ne me paraissaient pas vraiment compatibles avec ce repas, et je me suis mis à regarder dans ma cave professionnelle, beaucoup plus étendue et éclectique. 

Nous avons démarré le repas avec deux réinterprétations de salades : la liégeoise ci-dessus

et la niçoise (forte en anchois !)

Puis une brandade de tacaud (et non en taco), délicieuse. 

Pas sûr que le Roederer Cristal Rosé 2005 amené par Ludo pour l'apéro soit bien adapté pour ces différentes mises en bouche, mais il a tellement de personnalité que ce n'est pas un souci. Il est juste superbe : très ample et élancé, avec une matière moelleuse, dense, vineuse, parsemée d'une multitude de bulles caressantes, il trace droit dans un style à la fois sobre et classieux. Sûrement le meilleur Cristal bu à ce jour, toute "couleur" confondue. 

Trois beurres différents (fumé, aux algues et pffff...  je sais plus)

Derrière la simplicité apparente, se cachent une foule d'ingrédients : eau de tomate, tomates en "bruschetta", tomates cerises confites à l'huile d'olive, sel de sapin, huile de verveine, écume de mozarella, vinaigrette à base de confiture de tomates vertes, feuilles et fleurs de tagetes citron. J'ai choisi un vin d'une sobriété totale, pur, élancé, histoire qu'il ne tire pas du tout la couverture à soi et laisse le plat s'exprimer.  Ludo a fait un choix totalement différent : il est expressif, sur la poire et le raisin mûrs, avec une touche florale. En bouche, il est d'abord perlant, puis rond et gourmand comme un jus de fruit, avec une petite pointe de sucres résiduels en finale, encore plus renforcée par le plat. 

Chaque participant doit voter pour choisir  quel est le vin qui s'accorde le mieux, et quel est le vin qu'il préfère. Pour l'accord, une grande majorité vote pour le mien. Mais une grande majorité préfère le vin de Ludo (c'est vrai qu'il est plus séducteur - mais je ne voulais pas que mon vin le soit). 

Mon vin était un Muscadet Terre de Pierre 2012 de Luneau-Papin. Celui de Ludi une Pierre Précieuse  2015 d'Alexandre Bain. Vu comme j'ai perçu le second – à un moment donné, j'ai même cru que c'était du Poiré à l'instar d'un autre participant– je ne suis pas étonné que ce vin n'ait pas eu l'agrément Pouilly-Fumé (même s'il y avait eu d'autres raisons pour lesquelles l'Inao avait donné son veto). 

Nous poursuivons avec une truite d'Ondenval servie tiède et légèrement fumée, gaspacho de concombre, gel de menthe poivrée, "persillade" (citrons confits, persil plat et huile d'olive), oeufs de truite, feuille d'huitre, quelques gouttes de lait fermenté et malossols. De nouveau, j'ai fait le choix d'une certaine sobriété : j'ai pris un vin rond, ample, caressant, marqué par des notes fumées/grillées, d'agrume confit, aussi, avec une belle tension et une finale minérale/saline/fumée. Le vin épouse totalement le plat, on est pas loin de la fusion. Le vin de Ludo prend le contrepied : un nez beaucoup plus baroque qui évoque de suite le Riesling (pétrole, mangue, écorce confite, pin, fumée). La bouche est tranchante, tendue, heureusement enrobée par une matière riche, généreuse, extravertie. La longue et superbe finale a quelques sucres résiduels, mais avec l'acidité, ça passe tout seul. Quel vin !

Ma bouteille est un Boulevard Napoléon le Pal 2012 (vieilles vignes de Granache gris du Minervois), celle de Ludo un Clos Sainte-Hune 2003 de Trimbach. Pour les votes, mon vin remporte l'accord à une très grande majorité (je fais partie des rares à voter pour le CSH) et l'Alsace est élu à l'unanimité comme meilleur vin (et c'est mérité !).

Le troisième plat est celui qui m'a le plus questionné en terme d'accord : Oeuf basse température, piperade (ratatouille poivrons, oignons, ail, tomates et piment d'Espelette), calamar grillé, écume de chorizo. J'avais fini par un prendre un rosé intense et vineux, dans l'esprit d'un Tavel, car l'oeuf, la piperade, le chorizo et la tomate ne sont pas plus amis avec les vins blancs qu'avec les vins rouges. Bon, je me doutais bien que Ludo amènerait un vin blanc. Dès que je l'ai dans le verre, je sens des effluves de sésame grillé, de pétard  et de cacahuète. Aucun doute, c'est signé Coche-Dury. Après, quelle cuvée, je n'en sais rien. Je n'en ai pas assez bu. Sébastien part sur l'Aligoté. Si c'est en est un, c'est impressionnant et très loin de l'idée que l'on se fait du cépage. En terme d'accord, mon vin marche nickel avec les épices et les légumes du plat. Celui de Ludo a tendance à tout écraser. Mais qu'il est beau !

C'était bien un Aligoté de Coche-Dury (2010) et mon vin était un Clauzes de Jo 2016 du domaine Belles Pierres. Une fois n'est pas coutume, mon vin remporte l'accord et celui de Ludo est désigné comme le meilleur à l'unanimité. 

Le quatrième plat était peut-être le plus "simple" : Merlu North Sea Chefs  poêlé au saindoux, caviar d'aubergine, courgettes grillées, salsa verde. J'ai là encore fait le choix d'un vin plutôt sobre, marqué par le citron frais et une touche de fumée, avec du gras pour supporter les légumes du sud, et une niaque finale pour ne pas être écrasé par la salsa verde. Ludo, fidèle à lui-même, a choisi plutôt la séduction. Ceci dit, c'est le plus sobre des quatre vins blancs. La matière est intense, séveuse, avec un gras sexy, des notes d'agrumes confits, et une belle tension. Hyper bien foutu, j'avoue. Et j'ai bien du mal à le situer. 

C'est un Bordeaux Aile d'argent 2009 de Mouton Rothschild. Le mien était un Vignes perdues 2016 signé Jeff Carrel (encore un 100 % Grenache gris, mais du Roussillon, cette fois-ci). L'histoire se répète : mon vin remporte l'accord, et celui de Ludo est sacré meilleur vin. Au final, les vins de Ludo ont remporté le plus de voix, mais ça me semble tout à fait logique. Mes vins n'avaient pour but de séduire (même s'ils devaient bien sûr être agréables) mais étaient choisis pour se marier avec les plats du menu. En cela, ils ont rempli leur mission. Mais j'ai bien conscience qu'ils ne jouent pas dans la même cour : leur coût total doit être de 1/6 de ceux de Ludo... 

Pour finir, Pêche rôtie au thym citron, crumble de chocolat blanc, granité d'agastache, glace à l'huile d'olive, olives noires confites. Là il n'y avait qu'un seul vin, histoire de ne pas trop s'alourdir. J'avais fait le choix d'un fin frais, cristallin, avec une liqueur intense mais digeste, avec une aromatique muscatée qui va très bien avec la pêche. 

C'est un  Lyre 2012 de l'Arjolle, une vendange tardive de Muscat non mutée, ce qui en fait un vin ni trop sucré, ni trop alcoolisé. Dans l'ensemble, il a bien plu (sauf à ceux qui ne sont pas "bouches à sucre"). 

Une soirée d'anniv' sans un Petrus, ce n'est pas vraiment une soirée d'anniv'. Comme c'en était une, il en fallait un. Ludo a amené un 1976. À ce moment précis de la soirée – je n'ai rien pu recracher – je commencais à fatiguer. J'ai donc un souvenir assez vague de ce vin. De ce que j'ai pu lire, il avait un joli nez, mais la bouche n'était pas top (plutôt maigre/végétale/métallique). Ouf, l'honneur de Petrus sera lavé deux jours plus tard à l'occasion de notre 4ème repas d'anniversaire !... 

Mignardises I

Mignardises II 

Ce fut vraiment une très chouette soirée où des vins qui n'auraient jamais dû se rencontrer ont fait connaissance. Mais aussi une soirée où chacun a dû faire la part des choses entre la qualité intrinsèque d'un vin et sa faculté à se marier avec un plat (qui sont deux choses différentes). Cela a engendré des échanges passionnants, pas mal de rires ... et beaucoup de plaisir. Merci à toute l'équipe du restaurant : tout fut parfait, avec un service millimétré mais profondément humain !