Une semaine dans le Bordelais, le retour (jour 1)
Rendez-vous était donné devant Pichon-Longueville pour démarrer notre périple d'une semaine dans le Bordelais. Exactement la même équipe que l'année dernière. Frustrés de n'avoir pas pu voir tous les châteaux incontournables, nous avions l'idée d'achever notre "Bordeaux tour" avant de nous intéresser à une nouvelle région (qui ne sera pas en France). Je suis le seul Français de la bande. Les huit (prononcez "ouitte") autres sont Belges. Nobody's perfect. Surtout les Français.
Si nous nous sommes donnés rendez-vous à l'extérieur, c'est qu'il faut montrer patte blanche à l'entrée du premier domaine visité : Château Latour. En descendant vers le parking, nous apercevons deux chevaux tirant des charrues. Nous aurions dû nous arrêter à ce moment-là pour les photographier, car à notre sortie 1h30 plus tard, ils étaient en pause. En sortant de la voiture, je regarde le bâtiment principal. Il a été réhaussé. En effet, il ressemblait avant à cela :
C'est subtil, car le style architectural a été respecté, mais ça leur fait un étage en plus.
Dans la cour centrale, les anciens arbres ont disparu, remplacés par de la pelouse. Il faut dire qu'il y a encore moins d'un an, il y avait ici un trou de dix mètres de profondeur. Comblé aujourd'hui par un nouveau chai de vieillissement et des locaux de stockage.
Les locaux de réception des visiteurs, autrefois "bas de plafond" ont gagné en espace... et en modernité.
Cet escalier qui mène au nouveau chai n'existait pas. Il est complété par un ascenseur.
Notre guide du jour est Dorian Fages, responsable qualité du domaine.
Nous attaquons par le cuvier. Latour fut le premier domaine médocain à passer à l'inox en 1961. Il a maintenu cette tradition, même s'il a changé de cuves depuis ;-) Comme beaucoup, il a adopté le tri optique de la vendange. Mais il doit être le seul à retrier après la machine. Latour oblige.
Des cuves plus petites pour des vinifs intra-parcellaires ou des essais comparatifs.
Nous sommes dans le chai d'élevage de première année (bonde sur le dessus)
Ludo, la tête dans les étoiles :-)
Et là, dans le chai de deuxième année (bonde de côté)
Le nouveau caveau des anciens millésimes
Et hop, dans le sac à dos, discrétos...
Dans la salle de conditionnement, des caisses prêtes à partir...
L'ancien caveau, avec encore plein de 1961 (plus de place dans le sac...)
On passe aux choses sérieuses...
Les trois vins dégustés : Pauillac 2011, Forts de Latour 2008, Latour 2003
Pauillac 2011 : nez élégant, avec des notes florales, des fruits noirs, mais déjà aussi le cèdre et le havane médocain. La bouche est ronde, fraîche, avec une matière veloutée, limite pulpeuse. La finale est mâchue et gourmande. Déjà très agréable.
Forts de Latour 2008 : le nez est encore plus classe, plus aérien, avec de la violette, du bois précieux, de la crème de mûre. La bouche possède une superbe tension, une matière soyeuse et sensuelle. Superbe. La longue finale sans aucune dureté ne gâte rien. J'adore (bon, à 250-300 € la bouteille, ça calme...)
Latour 2003 : le nez est très marqué par le moka, mais le meilleur moka du monde, hein. Cela me rappelle le 2001 bu en 2004. La bouche est d'une densité impressionnante, tout en étant d'une grande douceur. Il y a une énérgie assez incroyable de l'attaque jusqu'à la finale puissante et interminale. Le tout dégageant une grande harmonie. Ceci dit, je n'ai pas le choc ressenti lorsque je l'avais bu bébé... en 2004. Il était alors beaucoup plus complexe et sensuel, et méritait son 100/100. Là, je suis plus dubitatif. C'est certes impressionnant, mais pas émouvant. Je lui préfère pour l'heure le second vin (de toute façon, le premier n'est pas dans mes moyens. Ca m'arrange bien...).
Mary repose son genou. La journée ne fait que commencer...
Crachoir de luxe...
Un des arbres arrachés de la cour...
Le pigeonnier et le château bâti vers 1870
Bigre, où sommes-nous ?
Réponse : Gruaud Larose !...
Ils ont bâti cette tour infernale (avec un ascenseur) afin de mieux voir la propriété.
N'empêche que c'est sacrément moche.
Sauf de près.
Notre guide aurait certainement convenu à un groupe qui n'y connaît rien. Ils ne seraient pas rendus compte qu'elle racontait de grosses bêtises. Genre, c'est l'océan qui a abandonné ici les graves. Ou que le domaine est presque bio parce qu'il utilise la confusion sexuelle contre les vers de la grappe (mais utilise des insecticides de synthèse contre la cicadelle, se sert d'herbicides même si notre guide prétendait le contraire, mais aussi de pesticides de synthèse. Ca va être difficile d'avoir l'agrément AB, je pense...)
Des pieds vénérables
De belles graves
Encore plus belles
La jalle délimitant le sud de l'appellation Saint-Julien
Un cuvier aux allures traditionnelles, mais avec tout le "confort moderne" (thermorégulation)
Après l'éraflage et le tri, la vendange est convoyée jusqu'aux cuves par ces tuyaux (moderne il y a 20 ans, un peu dépassé aujourd'hui car pas très respectueux du raisin...).
Le tableau de contrôle des cuves
Le chai de première année (nous n'avons pas vu le chai de deuxième année, beaucoup plus beau)
C'est autre chose, non ?
Le château
Retour à "la chose" pour une dégustation...
...agrémentée de fromages
Même pas besoin d'écrire un CR, le château le fait pour vous :
Je n'aurais pas trouvé la noix de cajou dans le Gruaud 2004. J'ai encore des progrès à faire...
Allez zou, au château suivant. On est où ?
Réponse : Brane Cantenac !
Photos très sympa :-)
Pour le coup, nous avons droit à une visite adaptée à notre groupe, car notre guide, responsable qualité du domaine est aussi compétente que sympathique. Nous avons passé deux heures enrichissantes et très agréables.
Maria Martinez Ojeda, mexicaine d'origine mais parlant parfaitement français, nous a longuement parlé des essais en bio du domaine (et du comparatif conventionnel/bio/biodynamique qu'ils prévoient de faire en 2015. Nous sommes ici au pied du plateau de Brane qui est le coeur du vignoble. Grâce à lui, les vins du domaine sont toujours d'une grande finesse.
Le domaine s'est équipé comme beaucoup du tri optique.
Trois types de cuves à Brane-Cantenac : inox, bois et béton.
Maria nous a expliqué que le domaine privilégiait les deux derniers matériaux, car l'inox n'était pas assez stable en température, ce qui nuisait à la complexité aromatique des vins.
Une barrique destinée à la vinification intégrale du Carmenère
Le chai en passe d'être transformé par l'arrivée ...
.... du système Oxoline (plus besoin de déplacer les barriques durant tout l'élevage)
Le château, où vit toujours Lucien Lurton, le patriarche.
Eh bien, on ne se moque pas du monde, à Brane-Cantenac !
Baron de Brane 2014 : nez sur la prunelle et la mûre, avec une pointe de poivre. Bouche très fruitée, ronde et fraîche, pulpeuse. Finale tonique marquée encore par le poivre. On sent que la maturité est là, mais juste, juste.
Brane-Cantenac 2014 : très beau nez sur les fruits rouges, le cèdre et les épices. Bouche très tendue enrobée d'une matière veloutée et fraîche. L'ensemble est dense et expressif. Finale explosive sur des notes de noyau. Très très joli !
Baron de Brane 2013 : nez fin sur la framboise et la cerise, souligné d'épices. Bouche très fraîche, tendue, avec des tannins soyeux, aériens et élégants, et surtout un très beau fruit. La finale est nette, entre fruits et épices. Miam !
Brane-Cantenac 2013 : nez plus complexe, marqué par un "élevage luxueux". Bouche longiligne à la matière dense et douce au grain très fin, d'une grande gourmandise. Finale fraîche et savoureuse, bien épicée. Très beau vin dans ce millésime pas évident.
Brane-Cantenac 2005 : nez fin et complexe sur la prune, le tabac, le lard fumé, les épices... Bouche qui trace net de l'attaque jusqu'en finale, avec une matière soyeuse et sensuelle. Finale suave et épicée. Je suis étonné lorsque Maria dit que le vin n'est pas encore prêt à boire. Je le trouve déjà très très bon, moi. Surtout, j'apprécie de voir un 2005 pas surextrait ni surmûr.
Brane-Cantenac 2001 : ben voilà, je comprends ce que voulait dire Maria. Celui-là, il est prêt, même s'il en a encore sous la pédale : nez plus complexe encore, avec les arômes du précédent, complété par le sous-bois, le cèdre, le cassis. Bouche d'une grande élégance, soyeuse, suave, soulignée par une acidité taillée au laser. Finale expressive, gourmande, très longue. Une petite merveille qui ferait aimer Bordeaux à un allergique aux vins de la région. Quand on pense que ça peut se trouver aujourd'hui aux alentours de 50 € (soit 5-6 fois moins que les forts de Latour 2008 et 24 fois moins que Latour 2003) on se dit que l'on marche sur la tête.
Carmenère 2011 (pas commercialisé !) : Henri Lurton a misé sur ce vieux cépage bordelais plus présent aujourd'hui au Chili qu'en France. Même s'il est planté sur le plateau de Brane, il a du mal à atteindre sa maturité optimale chaque année - si tant est qu'il n'ait pas été victime de coulure. En 2011, ce fut une grande réussite, d'où une mise en bouteille pour voir comment il évolue dans le temps. Il rentre de temps en temps dans l'assemblage du grand vin, jusqu'à 2 % (après, c'est too much). La robe de vin est très sombre. Le nez évoque la cerise noire, la myrtille, complété par des notes de fumée, de piment d'espelette, de poivre. La bouche est très dense, séveuse, marquée des notes goudronnées, avec une texture rappelant la peau de pêche. La finale est riche, expressive, sur le cacao et les épices. J'aime beaucoup !
A noter que cette très belle visite à Brane-Cantenac était gratuite, alors que celle de Gruaud coûtait la bagatelle de 40 €... Là aussi, on marche sur la tête...
Et là, où sommes-nous ?
Les cygnes vous aident ?
Et là, vous reconnaissez ?
Nous finissons la journée à Lagrange.
C'est le plus vaste cru classé du Médoc avec 118 hectares de vignes en appellation Saint-Julien, plus quelques autres en Haut-Médoc pour produire le vin blanc. Il appartient depuis une trentaine d'année au brasseur japonais Suntory (qui possède aussi la moitié de Beychevelle). Des études pédologiques ont permis de mieux comprendre le vignoble et de faire un redécoupage intra-parcellaire dont il est tenu compte au moment des vendanges. D'où un nombre très élevé de cuves (plus de cent) pour les vinifier séparément.
Là aussi, trieuse optique...
L'un des trois chais d'élevage (il y en a deux autres de la même taille...)
Avant...
Aujourd'hui
Les graves sont plus fines qu'à l'est de l'appellation
Eh oui, nous mangeons sur place !
Le menu
Avec le saumon fumé/grillé et Saint-Jacques, nous dégustons les Arums de Lagrange 2014 : robe or pâle. Nez fin et expressif sur le bourgeon de cassis, le zeste de citron, la fleur d'acacia, avec une touche beurrée/grillée. La bouche est ronde, fraîche, éclatante, avec une belle expression aromatique, sans jamais tomber dans l'excessif. La finale est soulignée par une noble amertume. C'est franchement bon, et accompagne parfaitement le plat.
Le boeuf est l'un des meilleurs mangés de toute ma vie, si ce n'est le meilleur. La cuisson était parfaite, délicatement rosée, d'une tendreté incroyable sans tomber dans la mollesse. Un rêve éveillé. Il a été servi deux vins avec celui-ci.
Fiefs de Lagrange 2009 : nez très mûr sur la fraise confite, les épices, le bois grillé. Bouche ample, aérienne, légèrement surmûre, avec une matière veloutée, gourmande. Finale épicée. Bien.
Lagrange 2005 : nez plus fermé, mais aussi plus classe avec ses notes de havane, de cèdre et une pointe de vanille. Bouche ample, sphérique, enveloppant le palais d'une matière moelleuse et séveuse. Finale mentholée et fumée finement mâchue. Très (très) bon !
Avec les fromages (joliment présentés mais oubliés d'être photographiés), trois vins.
Lagrange 2000 : nez classique d'un médoc évolué, sur le graphite, le sous-bois, le cèdre. Bouche longiligne et énergique avec une matière mûre et intense, bien fraîche. Un vin qui serait proche de la perfection si la finale était plus persistante. C'est tout de même très bon.
Lagrange 1990 (apport belge) :nez plus discret, mais plus complexe, très boîte à cigare, avec de belles notes d'orange sanguine. La bouche est séveuse, avec une matière dense et vineuse, me rappelant un peu le Beychevelle 1929 bu récemment. La tonicité et la longueur sont impressionnantes, avec une grande persistance sur des notes fumées. Excellent vin.
Lagrange 1990 (offert par le domaine) : nez proche du précédent avec plus de fraîcheur et de jeunesse (cassis, menthol). Bouche intense offrant un toucher proche de l'irréel, doux et caressant, d'une grande sensualité. La finale quasi infinie est un hymne au havane. Magnifique vin.
La crème brûlée au miel de Lagrange est excellente, avec la riche idée d'avoir une plus grande quantité de crème que dans la version habituelle, souvent frustrante (1cm de profondeur...).
Le chef qui a été applaudi par toute la salle !
En conclusion de cette journée, on peut vraiment noter des disparités entre la qualité d'accueil des châteaux, avec certains qui vous accueillent superbement sans vous faire payer quoi que ce soit, et d'autres qui vous offrent une prestation moins que moyenne pour un prix surréaliste. Il faut donc faire attention où l'on met les pieds....