750 grammes
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A boire et à manger
21 mars 2021

Grandeur et décadence

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Notre petite bande a enfin pu trouver une date (à peu près) commune pour fêter ensemble le printemps. Manquait tout de même l'ami Patrick, à qui nous avons pensé très fort durant tout le repas. Non, il n'est pas COVIDé avec 39 °C de fièvre, mais en week-end familial dans le sud-ouest. Il n'est donc pas malheureux ;-)  Comme d'hab, chacun a apporté un élément du repas avec le  vin qui l'accompagne. 

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Nous démarrons avec ce qui est censé  être l'apéro, mais que l'on peut voir comme une entrée. C'est une purée de  pomme de terre/panais/chou fleur relevée d'huile de truffe noire, de sarrasin grillé (kasha) et d'une tuile au sarrasin. Non, Stéphane ne perd pas ses cheveux : ce sont des filaments de poivrons séchés (j'en ai acheté aussi il y a quelques années et je ne m'en suis servi qu'une fois : ça n'a strictement aucun intérêt à part faire style, et encore, ça se discute...). 

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 Avec évidemment une bulle (c'est l'apéro, tout de même) : la robe est d'un or intense avec des reflets légèrement cuivrés, et peu de bulles. Le nez est expressif, sur les fruits blancs séchés, la pâte de coing et une pointe d'encaustique. La bouche est droite, tendue par une fine acidité tranchante, enrobée par une matière dense et mûre, un peu trop  monolithique aromatiquement. Les bulles sont discrètes, formant un léger perlant. La finale est tonique, intense, avec des amers bien présents (écorce d'agrume, quinquina) et une persistance sur des notes crayeuses et épicées. 

Difficile de trop savoir à quel cépage et région nous avons affaire, si ce n'est qu'il aurait fallu boire ce vin il y a quelques années. Le vieillissement ne lui sied pas trop bien. C'est en fait un Crémant BBF de Stéphane Tissot (100 % Chardonnay) acheté il y a une bonne dizaine d'années (base 2005). Je me souviens en avoir bu dans sa jeunesse : c'était extra ! 

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Nous continuons avec  mon entrée, inspirée d'une recette de Glenn Viel, le jeune et imaginatif chef de l'Oustau de Baumanière. : le coeur de romaine, tomates confites et roquette. Celle-ci a été présentée dans Top chef en tout début de saison pour lancer le thème de la salade. J'ai repris le principe de la cuisson très rapide, mais j'ai changé les ingrédients. Exit la tomate confite et la roquette, difficiles à accorder. Par contre, j'ai gardé le citron confit (mais dans ma version perso salée/sucrée) et ajouté le haddock, la scarmoza fumée et la noisette grillée. Et puis j'ai fumé le tout au bois de pommier. Il y a deux émulsions pour l'accompagner : l'une à base du ziste des citrons dont j'ai utilisé les zestes (la blanche). L'autre à base jus de pomme verte, de jus de citron vert, de miel et d'huile d'olive – et dans laquelle j'ai fait infuser la peau du haddock).  Le tout est saupoudré de jaune d'oeuf séché et fumé au bois de cerisier. Il y avait aussi un "tartare" de pomme verte, de betterave jaune, de haddock et de citron confit qui était prévu pour l'accompagner, mais je l'ai oublié chez moi... Je me suis contenté de deux inflorescences de puntarelle pour combler le vide, mais ce n'est pas du tout pareil. Finalement, la sucrine se suffit à elle-même : alors que j'aurais dû être moins sensible au résultat que les autres convives, j'ai été totalement bluffé, et même ému. Le mariage des textures et des saveurs est  superbe, avec une incroyable complexité. Je n'ai pas fini de retravailler cette recette pour la rendre encore meilleure (si c'est possible) car il y a vraiment un diamant brut – que j'avais pressenti lorsque j'avais remarqué cette recette il y a deux ans environ.   

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Pour l'accompagner, un vin de ma cave : sa robe est jaune paille, brillante. Le nez est fin, mûr, sur la pêche et l'ananas rôti(e)s, rafraîchi par une fine touche citronnée.  La bouche est élancée, étirée par un fil invisible, et déploie une matière douce, sensuelle, caressante, toujours sur un registre "exotique rôti". Là encore, la fraîcheur est apportée par une touche citronnée qui titille les papilles. Elle s'impose encore plus en finale, mêlant le fruit de la passion à l'écorce de pomelo, puis l'on retourne sur l'ananas (frais cette fois) et la pêche.  Mes amis partent sur un chenin (l'amertume finale, l'ananas). Perdu : c'est un Côtes du Jura Chalassses vieilles vignes 2010 de  Jean-François Ganevat. Il a beaucoup plu à la tablée, même si l'accord n'était pas aussi bon que je l'espérais (je le voyais plus sur le citron confit que l'ananas ou la pêche...). 

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Arrive le plat concocté par notre hôte, Olivier C : un civet de lapin accompagné de légumes variés. Cela faisait des décennies que je n'en avais pas mangé alors que cette recette a marqué mon enfance. On peut dire que c'était le plat-signature de ma grand-mère paternelle, même si l'expression n'existait pas à l'époque,  préparé avec un lapin élevé dans un clapier situé à 10 mètres de la cuisine. Eh bien, c'est vraiment très très bon, réconfortant au possible. Ce n'est pas demain que je serai vegan, même si je mange très peu de viande dans la vie de tous les jours. 

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Un vin rouge accompagne le civet : sa robe est rouge brique translucide. Le nez est puissant, sur les fruits rouges et noirs compotés, le cuir, les épices, et une acidité volatile assez marquée. Cette dernière sert de colonne vertébrale à la bouche qui possède une matière fine, aérienne, au toucher soyeux, sur l'aromatique perçue au nez, avec un peu plus d'épices. La finale a de la niaque, boostée par l'acidité, avec des fruits qui tournent au "brûlé" et un poivre plus marqué. Je pars personnellement sur un Côtes du Rhône sud avec pas mal de grenache. Totalement à côté de la plaque : c'est un assemblage de vieilles vignes auvergnates de gamay , pinot noir, syrah et grolleau, puisqu'il s'agit de  Danse avec le moût 2013 du Renard des côtes. Comme le BBF, ce vin aurait dû être bu un peu plus tôt, car il est clairement en fin de course (je l'avais bu jeune, c'était très gourmand). 

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Le plateau de fromage a été amené par Olivier R : bleu de Gex, comté 36 mois, Beaufort, Trappe d'Echourgnac et morbier. 

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J'ai tout pris ! 

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Première fois que je vois dans un comté le "trou de contrôle" fait par l'affineur de la fruitière avec sa sonde creuse. Il l'a rebouché tout en ayant mangé une majeure partie de l'échantillon. 

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Olivier a amené deux bouteilles, car il avait peur que la première ne soit pas buvable. Ce n'était pas nécessaire, mais il a bien fait !

La robe du premier vin est orangée, translucide. Le nez est fin et intense, sur la croûte de comté (qui fait forcément penser à un vin jaune), le kumquat, le miel d'oranger, le café au lait, les épices orientales. La bouche est tendue par une acidité arachnéenne étincelante, avec une matière très ample, enveloppante, d'une douceur tactile irréelle, tout en vous balançant un uppercut aromatique dans les papilles : fruits secs, épices, pain grillé.... La finale poursuit dans la même dynamique tout en intensifiant tous les paramètres : un véritable feu d'artifcice  qui imprime longtemps votre palais. Grand vin !   Nous sommes clairement sur un vin à l'oxydation ménagée, mais à part Sandrine, nous avons du mal à le placer dans le jura, car à part la touche "croûte de comté", on s'écarte du vin jaune type. D'où la piste espagnole, du côté de Jerez ou Montilia Morilles.  Mais en fait,  Sandrine avait raison : c'est un Vin jaune 1979  d'André et Mireille Tissot (les parents de Stéphane, pionniers du bio dans la région). 

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La dernière goutte du vin jaune avalée, nous passons à la deuxièlme bouteille. Au départ, son nez est très réduit, avec des notes fumées/grillées pas très avenantes. Après les émotions  suscitées par le 1979 on est limite dans le flop. Ça se confirme en bouche. C'est rond, très frais, Mais pas super causant.  À ce moment précis, plusieurs d'entre nous disent à Olivier qu'il aurait mieux dû servir celui-ci en premier.

Et puis, le vin s'aère et se réchauffe. Le nez commence à se "cochifier" grave : sésame grillé, pétard et pralin.  Mais d'une façon très subtile : c'est très intense, et en même temps, aérien, délicat, frais. Tu peux passer des minutes à sniffer le verre, oubliant tout ce qui se passe autour. Qiuant à la bouche, elle a pris une ampleur incroyable, vous donnant l'impression que votre palais a triplé de volume, tout en affichant une matière qui ne mérite pas de s'appeler comme ça, tant elle est "immatérielle" : on est plus sur un gaz dense, à peine liquéfié. Et là dessus, une fraîcheur de dingue semblant surgir de nulle part et qui trace jusqu'à votre âme. Un véritable katana ! On est presque plus sur une expérience mystique que sensorielle. Comme pour le vin jaune, la finale prolonge les sensations de la bouche,  tout en amplifiant encore les diverses sensations. La fraîcheur vous immerge totalement. Vous ne faites plus qu'un avec elle, vous laissant ébahi, sans mot pour décrire ce que vous venez de vivre. Ils paraissent si dérisoires. Immense vin ! 

Le nez nous oriente sur un chardonnay. Probablement jurassien. Après....  Quand Olivier nous dit que ce vin coûte aujourd'hui une petite fortune sur Idealwine, je lance Overnoy sans trop prendre de risque.  C'est en bien un  : c'est son Arbois Pupillin 1988

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Cela fait plusieurs années qu'Olivier C me poste des photos de Paris-Brest préparés par Monique, sa maternelle, qui me faisaient baver. Eh bien le voilà en vrai. Et il est dix fois meilleur qu'il est joli. C'est une pure merveille, pas trop sucré (Monique a diminué la dose de sucre pour épargner mes papilles), avec une crème pralinée (2/3 noisette , 1/3 amande) à mourir de bonheur !

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Pour accompagner ce Paris-Brest en douceur, Olivier amène un dernier vin : la robe est jaune pâle, parsemée de fines bulles. Le nez évoque le jus de raisin et la tarte aux pommes sortant du four. La bouche est ronde, fraîche, guillerette, avec un perlant tonique qui titille les papilles et  contrebalance le sucre, certainement élevé. L'aromatique est gourmande : on croque dans la baie de raisin, juteuse et parfumée. La finale est digeste, bien équilibré grâce au gaz carbonique et à de beaux amers. Miam ! Je ne suis pas surpris quand Olivier nous dit que ça vient de Gaillac, car j'en ai bu aussi de nombreuses bouteilles chez ma grand-mère précitée – mon oncle qui habitait Castres lui en ramenait régulièrement. C'est un Pétillant de raisin "le fou d'Escausses" du domaine d'Escausses (3 % d'alcool, donc probablement 120-140 g de sucres résiduels !). 

Eh bien, quel beau moment encore que cette rencontre : certains vins n'étaient pas aussi bons qu'espéré, mais d'autres avaient un tel niveau que nous nous en sommes vite remis. Mais comme d'habitude, c'est la richesse des échanges qui fait un bien fou à une époque où tout est fait pour les décourager. C'est bon que la vie reprenne ses droits !

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Commentaires
J
Eric, pas de la Trappe d'Echourgnac ! Ce fromage industriel pasteurisé à l'arôme et liqueur de noix, et avec Natamycine (E235) et Lysozyme (E1105) ...
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Quand deux passions se rejoignent pour n'en faire qu'une: la gastronomie
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