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A boire et à manger
28 août 2016

Un repas autour des Bordeaux 1986

Un petit mois avant que je n'arrive en Belgique, Ludovic m'avait demandé si cela m'intéressait de préparer le repas qui accompagnerait une dégustation de Grands  Crus classés de Bordeaux 1986. L'exercice n'était à priori pas évident, mais j'ai quasiment accepté de suite : il est déjà rare de participer à un tel évènement. Mais pouvoir y contribuer en apportant sa touche personnelle, c'est la cerise sur le gâteau.

Il y avait une douzaine de rouges au programme. Ne pouvant servir plus de trois bouteilles par plat, il fallait que j'en cuisine trois, voire quatre. Pour moi, la viande qui accompagne le mieux un Bordeaux à maturité est le boeuf. Afin de ne pas lasser les convives, il fallait que je varie la cuisson/présentation. Et puis, mes expériences ayant  été très positives en terme d'accord, j'ai amené de France un excellent Saint-Nectaire

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Adrien, notre hôte, voulait servir en introduction un vin blanc. J'ai choisi un Vouvray Clos de Venise 2010 de la Taille aux Loups parmi la liste qu'il m'avait présentée. C'est celui qui me paraissait le plus approprié comme "apéro" d'une telle dégustation.  Les autres méritaient d'être servis comme vedettes principales d'un beau repas. J'avais dans l'idée de faire des brochettes de ris de veau.  Si ce n'est qu'il fut impossible d'en trouver le matin-même. Il eût fallu que je le commande à l'avance chez le boucher. Pas grave : je me suis rabattu sur des Saint-Jacques. Une heure avant la cuisson, elles ont été parsemées de zeste de citron vert, puis juste avant d'être snackées à la plancha, roulées dans du sésame grillé. Pour les accompagner, une brunoise de fenouil (mi-cuit) et d'orange/citron confits maison. Comme le vin était finement grillé tout en étant bien marqué par les agrumes, cela fonctionnait bien avec le sésame et avec la brunoise. L'accord était donc des plus satisfaisants.

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Mon premier plat de boeuf jouait sur un contraste de température (un peu une constante chez moi en ce moment) : dans l'assiette, du boeug italien maturé cru, du persil tubéreux (cuit et refroidi), du foie gras de canard (mi-cuit), des champignons japonais (buna-shimeji et bunapi-shimeji) légèrement précuits, et quelques feuilles de cerfeuil...

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...  sur laquelle je versais un bouillon de boeuf aux cépes légèrement truffé/fumé. Il accompagnait deux Saint-Julien : Gruaud-Larose et Léoville Las Cases. Le premier a des arômes tertiaires assez marqués - cèpes, sous-bois, cigare - qui s'accommodent très bien du plat. La bouche est ample, soyeuse et élégante. Un vin harmonieux et parfaitement à point. Il est considéré comme l'un des meilleurs millésime de Gruaud-Larose.. Je comprends maintenant pourquoi. En comparaison, le Léoville Las Cases fait très jeune : dense, séveux, avec cette tension implacable typique du cru. Il est clairement trop puissant pour le plat. Je m'en doutais un peu, l'ayant déjà dégusté il y a quelques années avec le directeur du domaine. J'aurais voulu servir ce vin avec les entrecôtes qui viendront plus tard dans le repas. Sauf que Ludovic les avait réservées pour le "trio pauillacais". Mais bon, pas bien grave, hein.

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Le Saint-Nectaire était prévu dès le départ pour les deux vins censés être les plus faibles de la soirée (nous  nous étions dits qu'il ne pourrait que leur faire du bien). Mais nous ne voulions pas finir la dégustation sur ce duo. Nous pensions le placer entre la deuxième et la troisième viande. Mais la deuxième a mis plus de temps que prévu à cuire. Et donc, nous avons attaqué le fromage en quasi-début de repas ;-) Les deux vins sont Ausone et Cheval blanc. Le premier n'a pas grand chose d'enthousiasmant. Il a le tertiaire de Gruaud sans le charme, et la bouche est assez maigre, décharnée. Le fromage lui redonne un peu de volume, mais ne peut faire de miracle. Cheval blanc est bien au-dessus. Un nez complexe, mêlant la framboise et le menthol à des arômes de truffe, une bouche soyeuse, classe, avec une tension très Cabernet Franc. Il manquait juste un p'tit quelque chose chose que j'aurais bien du mal à définir - la magie ? Le charme ? -  pour que l'on atteigne le sommet.

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Bon, la photo vous montre que j'ai galéré sevère avec ce qui est censé être un boeuf Wellington (j'ai  hooonte !). Intéressons-nous plutôt à ce qu'il y a dans les verres... A ma gauche, Rauzan-Ségla, au milieu Margaux, et à ma droite Haut-Brion. Le premier rappelle un peu Cheval Blanc, avec plus de finesse  et de charme : il s'inscrit direct comme l'un des plus beaux vins de la soirée. Didier m'avait envoyé quelques semaines plus tôt une critique très sévère de René Gabriel sur Margaux 1986. J'avoue que je suis plutôt  déçu en bien, comme disent  les Suisses. C'est vrai qu'il manque de raffinement par rapport à ses condisciples, avec des tannins un peu raides, mais pas d'acidité agressive qui vous vrille le palais comme le décrivait le critique helvète. Par contre, c'est vrai que  le contraste avec Haut-Brion est un peu cruel. La bouche allie race et sensualité, avec une tension proche du Las Cases mais beaucoup plus de finesse. On touche à l'essence de  ce que peut être un grand vin. La seule chose qui a nui à mon plaisir est le nez : au départ, il était plutôt complexe (truffe, fumée, cuir). Mais plus il s'aérait, plus des arômes "brettés" (cheval/cuir) prenaient le dessus. N'ayant pu m'empêcher de le signaler,  on a frôlé l'accident diplomatique. J'ai relativisé la chose : à l'époque, la moitié des chais bordelais devait être contaminés, si ce n'est plus. Dieu merci, la bouche était épargnée - ce n'est pas toujours le cas -  et c'était bien là le principal.

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Ludovic voulait servir seul Petrus avant les trois 1ers de Pauillac. Ainsi fut fait. J'ai servi avec celui-ci  une purée de persil tubéreux, truffe et champignons (non montrable, car servie dans l'assiette précédente...) Ce qui marque le plus dans ce vin, c'est la fraîcheur, au nez comme en bouche.  Un mélange de menthol et de cassis, complété par de la ronce et de la truffe. La bouche est d'une perfection absolue : tannins superbes, entre soie et velours, fraîcheur et tension majestueuses, harmonie totale qui vous laisse coi (c'est le seul moment du repas où un ange est passé, suivi d'un silence religieux d'une quinzaine de secondes). Et  puis après, l'être humain étant ce qu'il est, on critique. Oui, d'accord, il est parfait, ce vin. Mais ce qu'est ch... , la perfection ! Et si on arrêtait de se prendre la tête pour simplement profiter (moi le premier) ?

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Et voilà donc le trio : Lafite-Rothschild, Latour et Mouton-Rothschild...

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... servi avec  un trio d'entrecôtes maturées: Galloway, Holstein et  Simmental. Je vous rassure,  c'était avant la découpe pour les 7 convives. Je ne vous raconte pas la prise de tête pour que chacun ait un morceau convenable. Mais revenons aux vins : Lafite est une sorte de  grâce incarnée, avec une finesse proche de Rauzan-Ségla mais avec un surcroît d'énergie et de complexité. Et contrairement à Petrus, rien d'une beauté idéale, figée.  Il est au contraire vivant, tonique, charmeur. Latour paraît bien engoncé/coincé à côté :  même si les tannins ont un beau velouté, avec un équilibre irréfutable, il a un côté monolithique plutôt barbant, d'autant plus flagrant que son voisin Lafite est guilleret. Quant à Mouton, on pourrait dire que c'est un croisement entre Lafite et Pétrus (y a pire...). Beaucoup plus dense que son frère ennemi, avec une fraîcheur plus marquée, on pourrait avoir le sentiment qu'il va le dominer par sa puissance. Eh bien non, même pas. Après avoir bu Mouton, Lafite semble encore meilleur ! Bref, si vous voulez vous faire plaisir avec Mouton 1986 qui est un grand vin, ne le servez pas à côté de Lafite ;-)

L'un des convives a amené un dernier rouge qu'il nous sert en aveugle : nous basculons dans un monde soudain plus voluptueux, plus séducteur - rien que le nez, waoooh - même si le vin n'a rien de too much : la bouche est fraîche, ciselée, mais avec une sensualité que nous n'avions pas eu de la soirée. Selon les goûts des uns et les autres, les avis divergent. Pour moi, à ce moment précis, il est un cran au dessus des autres. D'autres le trouvent un peu trop exubérant. Tout peut s'expliquer par le millésime de ce vin : c'est un Haut-Bailly 1990. Eh bien oui, 1990 est plus solaire que 1986. Cela me rappelle une discussion avec l'ancien maître de chai de Talbot qui préférait 1986 à 1990 qu'il jugeait trop solaire.

Il faut aussi se rappeler que 1986 a longtemps été considéré comme un millésime ingrat, fermé, avec des réussites essentiellement à Saint-Julien ... et Mouton. Je trouve que 30 ans plus tard, il s'en sort très bien, avec des vins d'un haut niveau général. Mais je pense que l'on montera de plusieurs crans l'année prochaine lorsque nous allons nous attaquer au 1989.  L'avant-goût que j'ai eu quelques jours plus tôt est des plus prometteurs.

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Une tarte tatin aux mangues, pour finir avec Yquem 1986. J'ai le souvenir d'un vin, frais, équilibré, encore très jeune pour son âge, avec une belle complexité aromatique, entre notes fruitées (abricot, mangue) qui dominent encore,  et évoluées (safran, fruits secs, truffe).

Nous nous sommes couchés vers deux heures du matin. Quelques heures plus tard, il fallait se réveiller pour un voyage très attendu en Moselle. Quelle vie...

1986

Merci à Adrien pour son accueil  et à Ludovic pour sa générosité !

Commentaires
P
Tout ceci me fait rêver, je rêve un jour de pouvoir voyager jusqu'à cette planète aux grands crus... merci ! Roméo
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D
Que de boeuf !... Et pas toujours cuit-cuit... 😜
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V
Superbe compte rendu Eric...toujours aussi agréable de lire tes aventures gastronomiques et œnologiques.
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Quand deux passions se rejoignent pour n'en faire qu'une: la gastronomie
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