Week-end Arômes (part 4 midable): Repas au bord de mer au domaine de Rochevilaine
Dimanche 19 novembre, Domaine de Rochevilaine, 11h30
Nous nous sommes donnés rendez-vous tous les cinq dans ce magnifique domaine dédié à la balnéothérapie. On ne peut qu'être séduit par le charme du lieu. Pour décrire la magie de celui-ci, on tombe vite dans l'indicible. Voici donc quelques photos prises pendant notre promenade apéritive:
Avant d'aller à table nous devisons dans un grand salon avec une très belle vue sur la mer.
Enfin, le maître d'hôtel nous emmène à notre table dans une salle à part qui fera office de salon privé. Je pense que cette délicate attention aura joué un rôle non négligeable dans notre sentiment de bien-être. Une autre surprise nous attend sur la table: des menus ont été imprimés à notre attention comportant les vins et les plats. Cela me permet de préciser que Nidal avait donné à l'avance au restaurant la liste des vins amenés ce jour et que les plats ont été préparés en fonction des vins.
Puisque nous parlons de vin, parlons du premier qui nous fut servi: Krug 90. La robe est d'un beau doré avec une multitude de fins cordons de bulle d'une régularité étonnante. Le nez est tout simplement magnifique et d'une complexité incroyable . Au fur et à mesure que la bouteille se videra, celui-ci évoluera sans cesse, nous faisant voyager jusque dans les souks orientaux avec des odeurs de nigelle et fenugrec. Sinon plus classiquement nous avons relevé successivement: l'abricot sec, la pêche rôtie, le praliné, l'ambre et la brioche toastée. Le mettre en bouche fut un véritable choc sensoriel: je n'avais jamais rien bu de tel! Réussir à réunir dans un seul vin du voluptueux, du soyeux, des bulles d'un raffinement extrême, une vinosité et une intensité aromatique hors norme est un véritable exploit! J'avais l'impression d'avoir un véritable geyser en bouche, mais un geyser frais, sensuel, raffiné... Sublime!
On nous sert en premier lieu une mise en bouche dont je n'ai pas l'intitulé exact: on va appeler ça un croustillant au foie gras sur une émulsion de champignons sauvages. C'est absolument délicieux. Du foie gras cru a été cuit entre deux très fines tranches de pain brioché, ce qui a permis de faire cuire le foie gras et d'imprégner les tranches croustillantes. L'idée est excellente (je l'ai déjà reproduite à la maison - recette à venir)! Le mariage avec le champagne est plus que parfait, il est fantastique: on se régale!
Puis arrivent des noix de Saint-Jacques de la baie d'Erquy contisée au caviar. Contisée signifier que des incisions ont été faites dans la noix pour y insérer des grains de caviar. Les noix ont été à peine cuites, juste réchauffées (vapeur?) et l'on peut apprécier leur texture délicate avec de ci de là des grains de caviar qui mettent leur grain de sel. Quelle finesse! En gentleman, le champagne s'accommode de cette délicatesse et se fait plus discret. Petit reproche de Jean Philippe: l'émulsion a été un peu trop crémée à son goût. Il eut préféré retrouver le côté plus brut du cresson pour retrouver l'amertume qui lui est chère.
Nous passons ensuite au Corton Charlemagne 1992 de Bonneau du Martray. La robe jaune pâle se fait discrête. Le nez et la bouche aussi, d'ailleurs. Après le Krug, forcément. Mais il faut patienter pour qu'il trouve ses marques. Et la patience paie: quand on hume le verre, on a l'impression d'être cerné par le parfum du vin. A la fois diffus et pourtant bien présent: citron confit, pâte d'amande, noyau de pêche, pointe de menthol... En bouche, une sensation que l'on a déjà plus ou moins ressenti avec le Batard Montrachet mais à un degré supérieur: on a l'impression d'avoir une mer calme qui monte progressivement en bouche et qui avance, avance, vous envahit et vous submerge (de bonheur)! Et tout ça, l'air de rien, avec une texture très douce, arachnéenne... Irréel!
Et pourtant avec le Homard poché au beurre demi-sel, gnocchi de potimarron, le vin totalement sa place, ne l'écrase pas, mais l'accompagne et l'on a encore un accord de toute beauté. Le homard est absolument délicieux: la chair est ferme, presque croquante et délicatement parfumée (iode, corail et beurre). Les gnocchis de potimarron apportent une touche de féminité au plat avec leurs notes sucrées. Mmmm!
Après de telles expérience aussi émotionnelles que sensorielles, que peut-on encore attendre? Le Clos Saint-Hune 1981 sera-t-il à la hauteur? Jean Trimbach a prévenu qu'il pouvait être passé ou génial. Il fut génial: la robe dorée intense. Un nez d'une douceur irréelle mais d'une belle expressivité: pomme rôtie, résine, agrume confit, pétale de rose... La bouche est d'une rondeur idéelle, d'une finesse exquise, ce qui n'exclue pas une grande intensité aromatique, ni une acidité toute en filligrane. La finale s'épanouit longuement sur des notes amères de gentiane et d'orange confite. Un joyau!
Le plat d'accompagnement était un turbot rôti à l'arrête, tête de veau, jus de carotte réduit. J'aime beaucoup les mariages terre/mer. Ce plat n'a pas échappé à la règle. Il était très bon, même si certains d'entre nous ont trouvé le turbot un peu trop cuit. Personnellement, je n'ai pas eu trop à m'en plaindre... Là encore, le mariage a bien fonctionné, même si le vin éclipsait un petit peu le plat, je pense...
Après ce moment de grâce, un vin rouge un peu tannique pouvait-il prendre la suite? Apparemment non. En tout cas, le Pavie-Macquin 1998 l'a mal supporté. Le nez paraissait un peu too much avec des notes d'élevage flatteuses, un côté épicé qui nous emmenait du côté de rioga, et des fruits un peu trop compotés. En bouche, les tannins marqués n'arrangent rien. Sans parler de la finale, un brin alcooleuse. Un bide!
Si il y a un plat qui a rattrapé le coup, c'est bien celui-ci: le filet de canard colvert et sa cuisse en salmis. Particulière la cuisse confite qui a gommé partiellement les tannins du vin et l'a rendu plus aimable. Encore un beau plat, fait spécialement pour notre tablée. Merci, chef!
Le fromage arriva sous la forme d'une tomme de Muzillac, tiédie en boîte. Faisons court: excellente!
Passons au clou final: Rieussec 2001. La robe est de l'or liquide. Le nez intense a des parfums de safran, de cire, de mangue, d'orange confite et de crème catalane. La bouche est grasse, onctueuse, opulente même, mais parfaitement équilibrée par une acidité bien présente. La finale paraît un peu chaude au départ, mais dès que sont servies les mangues rôties, sorbet litchi, tuile au thym, ce petit défaut disparaît et nous pouvons apprécier ce vin au meilleur de lui-même.
Sur le deuxième dessert, un soufflé au caramel, beurre coulant, palet breton, le vin prend des arômes de pâte d'amande et de citron vert et devient peut-être encore plus bouleversant. Belle finale!
Il ne nous reste plus qu'à repasser au salon pour les cafés et les mignardises, mais aussi les cohibas que nous a apporté Charles. Ils seront à l'image de ce beau repas, doux et harmonieux.
Après un aussi beau week-end, autant dire que la séparation fut difficile: nous avions partagé de si belles choses ensemble que nous avions le sentiment d'être reliés, et que partir chacun de son côté était une véritable déchirure. Promis, nous recommencerons!